1) Libérez l'Observation !     2) La prévision météo bicéphale de Chamonix.     3) Xynthia et le "réchauffement". 
4) Vigilance.     5) Les modèles m'épatent.     6) Amer.     7) Météo multilingue.     8) 40 ans...
    9) Jacques.    
10) Sur le fil du rasoir...    11) Jean-Jacques Mollaret.    12) Changement d'"air".    13) Les mots pour le dire.
14) Anomalies.    15) 2+ ou 3- ?     16) Approximations fantaisistes... mais pas drôles.    17) Et le français alors !
18) Les prévisions de qui ?   19) Anomalie quand tu nous tiens.
20) Restructuration MF : les stations alpines tirent leur épingle du jeu.   21) Un va-et-vient qui fait du bien.
22) Plaidoyer pour un 4ème degré et la transparence.  
23) Oui, c'est possible !  24) L’instabilité est dans la Com.


1) Libérez l'Observation !

L’activité première du météorologiste. Sans observation aucune connaissance possible de la situation locale, de son évolution, de ses particularités.
En associant plusieurs observations, Le Verrier, inventeur de la météo moderne au milieu du XIXe, a créé le 1er réseau européen, lors de la guerre de Crimée, et à la demande de Napoléon III, soucieux de savoir si la tempête qui avait mis à mal tant de navires aurait pu être prévue.  Faisant appel à ses collègues astronomes, Le Verrier a pu réunir leurs observations et remarquer que la fameuse tempête n’était pas tombée du ciel sur la flotte, mais avait suivi un parcours bien identifiable. Il y avait donc une logique du déplacement. C’était l’amorce de la collecte internationale puis aussi du concept de prévision scientifique (et non plus prédiction plus ou moins « magique »).

En vacances à Chamonix, dans une période de froid rigoureux, je cherche, comme quantité de touristes, de skieurs, de professionnels des métiers de la montagne à savoir quelle est la température locale. Pas possible sans payer. Tout cela je le sais depuis longtemps, je le déplore et le condamne. Un besoin un peu plus aigu me fait rédiger ce billet d’humeur.

Alors que chez nos voisins Suisses toutes les observations sont accessibles par le web, actualisées toutes les 10’, en France il faut se rabattre sur la bonne volonté et l’inventivité des sites amateurs, qui font d’ailleurs avec passion un énorme travail et rendent plein de services que l’organisme public laisse en jachère. Il n’est absolument pas normal, à l’instar de ce qui se fait dans plein de pays – l’exemple le plus illustre étant les USA, pourtant « ultralibéral » - que le contribuable n’ait pas de retour gratuit sur ses investissements, que ce soit en observations classiques, images satellitaires, échos radar, données brutes des modèles… De mon point de vue, Météo-France ne devrait pas s’obstiner à vendre les données brutes mais seulement des services (mise en forme spécifique pour telle ou telle entreprise, avertissements pour dépassements de seuils, prévisions sur mesure, équipement en matériels appropriés, formation, suivi…).

La France est sans doute le seul grand pays en matière de prévision numérique à ne pas rendre ses sorties de modèles accessibles gracieusement. Pourquoi le seul ? Pourquoi ce malthusianisme ? Pourquoi cette paranoïa de la fuite des données vers des officines plus ou moins bien intentionnées ? C’est d’abord, comme je l’ai déjà signalé, un refus injuste de retour gratuit vers l’investisseur. Et puis, c’est d’une maladresse confondante. La plupart des données on les obtient sur le web, par d'autres canaux plus ou moins détournés.
Donc la dissimulation perd toute sa mauvaise raison d’être. En plus, il serait bien plus malin de ne pas se distinguer par son esprit mesquin, de montrer au contraire et sa disponibilité, et son sens du service public, et son savoir-faire. Il serait bien plus judicieux de soigner son image en se rendant sympathique, alors que la politique actuelle obtient l’inverse. Prouver à tous qu’on est largement aussi bon que la concurrence (les modèles français comptent parmi les tout meilleurs) serait même un gage de contrats commerciaux futurs, car il est bien normal que les applications spécifiques soient facturées aux clients (médias, entreprises, services de transport aérien, maritime, terrestre, agriculture, tourisme…).

Ce discours je le tiens depuis bien longtemps, bien avant que je sois à la retraite, ce qui libère ma parole publique. J’ai préconisé, dès la fin des années 90, d’ouvrir le site web de Météo-France, d’en faire une véritable « vitrine » des compétences, du savoir-faire. Parce que c’est un dû, parce que c’est bien plus sympa et potentiellement riche de commandes que le repli boudeur. Alors, me répondait-on, on va y perdre des recettes. Ma réponse : la publicité. Et je crois avoir préconisé cela avant que Google ne prouve qu’on pouvait faire fortune ainsi, discrètement, en rendant de multiples services. Ma stratégie était la bonne puisque Météo-France a largement ouvert ses pages à la publicité – parfois trop agressive d’ailleurs -, il y a 3 ou 4 ans.

Puisque mon objet est l’observation, pourquoi ne pas la rendre accessible sans débourser, en l’accompagnant de publicité ? Les voisins helvétiques la fournissent sans, mais bon, ce serait a minima un progrès considérable avec. Je suis persuadé que ces informations deviendraient rentables, bien plus que maintenant, où, payantes, elles ne doivent guère être consultées que par des passionnés ou de rares clients initiés.

L’accès en temps réel aux observations faites par les stations automatiques (température, vitesse et direction du vent, humidité…) de Chamonix/Bois-du-Bouchet (1 050 m), du Lac Blanc (2 330 m), de l’Aiguille-du-Midi (3 850 m) intéresserait à coup sûr beaucoup d’usagers. Ce serait un plus d’image pour le centre météo, un plus de sécurité aussi. On peut d’ailleurs imaginer toutes sortes de présentations captivantes et efficaces en utilisant cette spécificité de stations automatiques (fonctionnement H24) pertinemment étagées à 3 niveaux stratégiques. On passerait ainsi de la clandestinité improductive à la transparence utile et… rentable.

Les mesures de la station du Bouchet devraient être complétées, au moins toutes les 3h (toutes les heures de préférences) par des compléments humains comme le « temps sensible » (brouillard, pluie, neige, orage, avec précision sur l’intensité), l’ « état du ciel » (nature, quantité, niveaux des nuages), la « visibilité ». Toutes les autres stations de France tenues par des professionnels (Grenoble exceptée, autre anomalie insupportable pour la 13ème agglomération du pays) font des observations complètes, chaque heure, durant les vacations (le jour à Chamonix), pourquoi certaines, hautement stratégiques, ne participent pas à la collecte ? La mutualisation des observations, les réseaux solidaires sont à la base du métier de météorologue. Ne pas remplir ce devoir, cette mission est inadmissible. Il est cocasse – et très triste – de constater que c’est la météo privée de l’Office du Tourisme (je développerai prochainement) qui fournit ces informations 2 fois/jour… Au passage, comment comprendre aussi que même les bulletins triquotidiens du CDM chamoniard ne fournissent pas de données observées sur les températures, sur les quantités de neige fraîche ou de neige totale à Chamonix ? Très facile à obtenir, et cela intéresserait bien plus les touristes que nombre de détails futiles et inutiles. Encore un thème à développer : le contenu des messages de prévision. C’est d’ordre national. J’ajoute, à décharge des CDMs, que la hiérarchie administrative ignore comment fonctionne dans le détail ses services déconcentrés, n’a pas donné de consignes pour gommer ces lacunes (pas les seules !), n’a pas de connaissance précise des besoins des usagers. Et cela malgré une longue démarche Qualité.

Plus généralement, la nuit pose en France des problèmes de présence des observations humaines (données estimées, car toutes ne sont pas encore accessibles aux automates – Annecy/Meythet dispose pourtant d’une station automatique qui fournit le « temps sensible », pourquoi pas Chamonix, pourquoi pas Grenoble/Le Versoud ?) : les CDMs (Centres Météo Départementaux) ne travaillent pas la nuit. Les pays voisins ont trouvé des solutions… Bref, pourquoi ne pas faire appel, comme je l’ai préconisé de longue date, à des professionnels obligés d’être sur le terrain H24, et eux-mêmes concernés au plus haut degré de sécurité par les conditions atmosphériques. Je pense notamment aux sociétés autoroutières dont les multiples « Centres d’Entretien » pourraient justement et fort utilement (pour eux-mêmes, pour tous) compléter le réseau officiel nocturne assez aveugle. Il n’est pas difficile d’utiliser le code OMM (Organisation Météorologique Mondiale) pour signaler au moins les intempéries comme le brouillard, la pluie, la neige, l’orage. Très simple à mettre en place. Et ce serait tellement efficace !



2) La prévision météo bicéphale de Chamonix.

La suite logique de l’Observation, l’activité cruciale du métier de météorologue puisqu’elle permet d’anticiper les « mauvais coups » du ciel pour essayer de s’en prémunir autant que possible, mais aussi les périodes fastes pour en profiter au mieux. La météo est devenue un véritable phénomène de société. Qui peut s’en passer ?

Celle de Chamonix, spécifique pour alpinistes, a débuté en juillet 1969. Pendant 6 étés, j’eus la responsabilité, mais aussi l’honneur, d’animer la première antenne estivale expérimentale, qui devint fin 1974 une station à temps plein. Une présence de jour non stop, éprouvante mais tellement enthousiasmante. Une rude école, au contact de l’usager, forcément exigeant. Une richesse relationnelle exceptionnelle. J’aurai sans doute l’occasion de refaire ici l’historique plus complet de la station météo chamoniarde, devenue officiellement haut savoyarde au milieu des années 80. Mais d’abord, un hommage à celui qui l’a voulue : Maurice Herzog, député-maire à l’époque. En charge de la sécurité pour le massif du Mont-Blanc, bien au fait de par ses fonctions privées des progrès de la météo qui, dès le début des années 60, avait hérité d’un premier outil merveilleux : le satellite artificiel, il avait été confronté à des drames alpins dus au mauvais temps estival, fréquent en ces temps de « palier » (grosso modo 1950-1980). Il s’est donc tourné vers la Météorologie Nationale pour obtenir un appui prévisionnel local. Une première nationale, une première mondiale.

                     

Je considère que mon rôle de pionnier, mon expérience m’autorisent – me légitiment - à exprimer mon point de vue, fût-il parfois impertinent. Etant resté passionné, donc plutôt bien au courant de l’évolution de Météo-France, je me dis aussi que me taire devient une sorte de complicité vis-à-vis de comportements que je déplore, qui sont, de mon point de vue, néfastes pour les acteurs de la vie montagnarde. Je crois pouvoir prétendre avoir fait de mon mieux, avec les outils d’alors, pour la sécurité des alpinistes, skieurs et touristes, pour avoir encore envie d’améliorer leur sécurité. Ce n’est qu’affaire de bonne volonté, très peu d’argent.

La situation à Chamonix est parfaitement ubuesque.

Déjà, le transfert de la station météo à Chamonix Sud fut une énorme erreur. C’était tourner le dos à la mission initiale, spécifique : la proximité avec l’usager. Comment mieux la servir que dans la Maison de la Montagne, créée par Gérard Devouassoux en 1971 ? Celle-ci est idéalement située, au cœur de la ville, au cœur de l’activité alpine (Cie des Guides, ESF, OHM). Le regretté Gilbert Chappaz, guide émérite, ancien guide-chef, au langage très imagé, m’a dit un jour sur un trottoir, lors d’un échange impromptu, quelques mois après le déménagement : je ne comprends pas Météo-France, quand un chirurgien fait une opération, il remet le cœur à sa place, pas au pied. J’avoue avoir eu peur qu’il ait pu croire que j’avais la moindre responsabilité là-dedans, puisque, exerçant à Grenoble, il pouvait penser que j’étais le supérieur hiérarchique direct du Centre de Chamonix (CDM74). En réalité, avant même que le projet prenne corps, j’avais exposé mon point de vue au Directeur régional de l’époque, à Lyon. Pour moi, il était impératif de garder le cap : le contact direct. Certes, les tâches de la station ayant pris de l’ampleur, il fallait trouver un moyen de libérer le prévisionniste de l’accueil pour qu’il puisse sereinement se consacrer à son travail. La solution que je préconisais : un prévisionniste affecté au contact, au moins durant les saisons de haute fréquentation, par rotation, avec le matériel approprié (réception des images satellitaires, panneau d’affichage), pour commenter, expliquer, écouter aussi, tellement il est primordial que l’échange soit bidirectionnel, pour l’enrichissement mutuel, la bonne connaissance des besoins des uns, des limites des autres,. Oui mais, on n’a pas les moyens, répondit-il. Si on le veut, c’est tout à fait possible, répliquais-je. Il suffit d’obtenir des aides de plusieurs sources concernées : Défense (PGHM, EMHM), Tourisme, Jeunesse & Sports, Région, Département, Mairie… La situation stratégique de Chamonix, la sécurité, l’opportunité de faire de la pédagogie aux foules qui passent ici, justifient parfaitement cette expérimentation. Mais comme ce directeur avait donné pour consigne de ne plus répondre au téléphone, de fermer la porte (le répondeur automatique étant fait pour satisfaire toutes les questions…), cette ambition lui passait complètement au-dessus de la tête.

Le panneau d’affichage très complet (bulletins, mais aussi cartes avec pictogrammes en arole sculpté, documents avec fronts et centres d’actions – dépressions, anticyclones - informations sur les conditions d’une sélection de villes de France, d’Europe…), que j’avais quotidiennement actualisé, seul, puis, à partir de 1974, avec les agents qui confortèrent peu à peu l’effectif, était vite devenu, après ma mutation en 1979, le support du seul bulletin de prévision, affichage négligé au reste. Auparavant, ce panneau, des quantités de photographes le fixaient sur pellicule, plaçant devant, qui femmes et enfants, qui la petite amie… Des ingénieurs de la météo allemande, vinrent m’expliquer un jour qu’ils en avaient montré des images à leur direction, à titre d’exemple de ce que l’on pouvait faire en matière de présentation météo dans un site touristique.

       

Malgré un renfort en personnel au fil des années (environ 8 agents), l’Office du Tourisme ne put jamais obtenir un bulletin régulier en anglais du CDM, la moindre des corrections vis-à-vis du public étranger, et aussi une sécurité améliorée pour ces usagers (trop facile de dire ensuite : ils partent sans s’informer…). De plus, la politique commerciale étrange de Météo-France devint tellement exigeante et inconséquente* que l’Office créa sa propre station de prévision vers la fin des années 90. Ainsi, paradoxalement, la seule grande station touristique en montagne qui possède un centre météo a été obligée de monter son propre service de prévision du temps (on pourrait y détecter un conflit d’intérêt, si les bulletins n’offraient pas une évidente impartialité). Qui le sait ? Les bulletins venant du CDM74 et de l’OT sont fréquemment affichés côte à côte, sans que personne ne se doute d’une origine différente. Sur le web, dans les hôtels, au chalet du CAF… c’est le bulletin gratuit de l’OT qui cartonne puisque celui de Météo-France est payant. Quelle confusion ! Quelle légèreté aussi quand on connaît l’impact vital de la météo dans un massif  aux courses exposées ! On marche sur la tête !... En juillet 2009, suite à des grosses difficultés pour des alpinistes au Mont-Blanc, une polémique éclata dans la vallée. La météo officielle s’en prenait à la météo de l’OT, l’accusant d’incompétence, donc de dangerosité. Mais à qui la faute cette situation ? Par hasard, je rencontrai le directeur de l’OT en août. J’évoquais l’affaire et lui dis que je lui donnais raison. L’OT comble les lacunes de service public que le CDM a laissé s’installer (affichage, anglais, gratuité…).

Pour faire un peu de prospective, il serait assez facile, et relativement peu coûteux, de créer ce fameux poste de prévision d’accueil que je préconisais naguère. Il suffirait de détacher, à tour de rôle, un prévisionniste au Météosite de la Maison de la Montagne. Certes la fonction d’information est tenue depuis une bonne dizaine d’années (sauf erreur de ma part, car je ne connais pas ces détails), par une jeune personne, qui a reçu une formation rapide par Météo-France, à Toulouse. Pour l’avoir subrepticement vu œuvrer, tout au début, je suis convaincu qu’elle fait son travail avec beaucoup de bonne volonté et sûrement une maîtrise affirmée par les années. Une complémentarité est sûrement possible, tant les besoins sont grands, au moins durant l’hiver et l’été. J’ai donné plus haut des pistes pour financer le poste supplémentaire de prévisionniste que l’opération nécessiterait.

Je reviendrai plus tard sur le contenu des bulletins.

*Le Conseil Economique et Social a évalué, dans un rapport de 1985, que la Météorologie Nationale rapportait (en victimes et dégâts évités) 12 fois les investissements. Une étude récente de l’OMM (Organisation Météo Mondiale) a trouvé un ordre de grandeur équivalent. Belle rentabilité ! Tant mieux ! Mais alors, donnons toute sa place à la prévention (c’est en vaccinant gratuitement qu’on combat les maladies en amont, qu’on fait au total des économies). Personnellement, j’estime depuis longtemps que l’accès au web, aux répondeurs devrait être gratuit, aux frais de mise à disposition près. Météo-France, au carrefour de tous les besoins, devrait pouvoir assez facilement compenser ces « pertes » (pour l’Etablissement, mais des gains pour la collectivité) par des ventes aux multiples entreprises, aux services de toute nature, dans toutes les activités, qui ont besoin d’applications spécifiques, sans compter les recettes publicitaires que le web peut générer.


Ouverture de la saison estivale à Chamonix, en 1974 :
De gauche à droite,
. un guide
. le météo de service pour 2 mois non stop (6 étés de 1969 à 1974) ;
. Gérard Devouassoux, guide, grand alpiniste, adjoint au maire Maurice Herzog, créateur de l'Office de Haute Montagne dans la Maison de la Montagne (ancien presbytère) ;
. Félix Martinetti, ex-guide brillant (très belles premières à son actif), en retraite, tailleur à Valréas, guide-conseiller de l'OHM ;
. sa femme ;
. Jean-Jacques Mollaret, capitaine de la compagnie de Gendarmerie de Chamonix, ex-patron du PGHM (secours en montagne), un homme exceptionnel, mort dans une avalanche quelques années plus tard, dans les Alpes du Sud, après un passage à la Réunion, où il créa la Maison de la Montagne de Cilaos ;

Pour la petite histoire, Gérard Devouassoux arrosait aussi l'expédition "Kriter" (d'où les bouteilles) des guides chamoniards qu'il allait commander à la conquête de l'Everest dans les semaines à venir. Une avalanche le surprit dans son sommeil à un camp relais. Avec le sherpa qui l'accompagnait, on ne les a jamais retrouvés. Très grande perte pour Chamonix...





3) Xynthia et le "réchauffement".

 Au lendemain de la tragique tempête qui a dévasté le littoral charentais et, hélas, fait tant de victimes, Le Figaro éditait le titre suivant :
«La tempête n'est pas liée au réchauffement climatique».

C'est péremptoire, comme trop souvent un titre qui se veut accrocheur. Rien à voir, donc, avec l'état d'esprit qui sied à la démarche scientifique : l'humilité, le doute. L'expert de Météo-France consulté aurait répondu ainsi : «A priori, on ne peut faire aucun lien avec le changement climatique. La tempête de ce week-end rentre dans la variabilité naturelle du climat.»

L'ingénieur n'a pas tort, puisqu'en l'occurrence rien, aujourd'hui, n'est démontrable de façon sérieuse, solide. Ce n'est pas pour autant qu'il a raison. Et cette petite phrase, l'essentiel, sortie du contexte, devient le titre qui percute et qui fausse un peu le débat. Une hirondelle ne fait pas le printemps, un expert ne détient pas la vérité à lui seul. Certes, l'opinion est entourée de précautions. Elle laisse des portes ouvertes à d'autres explications. "A priori", espace ouvert au "A posteriori", de la démonstration future, éventuelle, scientifiquement argumentée. Nous sommes ici au niveau de l'"impression" personnelle, donc éminemment subjective.

Eh bien, sans être ni plus ou moins expert que cet ex-collègue, j'avancerai une interprétation moins distante. Le "réchauffement" est une réalité incontestable (les records tombent depuis 30 ans), et non contestée (ce qui l'est, par contre, c'est sa ou ses causes). Les conséquences en sont multiples, parfois graves, parfois heureuses (certaines régions du globe ont moins froid, leurs habitants ne s'en plaignent vraisemblablement pas, sauf cas particuliers). On sait que la faune et la flore en sont affectées, que des espèces abandonnent des territoires pour en abandonner d'autres, sur terre comme en mer. Les lignes bougent, c'est incontestable, celles des glaciers notamment.

Côté météo, on constate une multiplication des phénomènes violents (cyclones, sécheresses, inondations, surchauffes ou refroidissements intenses - oui, le réchauffement, par les déséquilibres qu'il provoque, peut aussi se manifester, paradoxalement, par des périodes, des saisons froides sur de vastes espaces). Il y a peu, un cyclone s'est formé non loin des côtes du Brésil, alors qu'ils y étaient jusque-là inconnus. L'année dernière, un autre a pris naissance au large du Portugal. Encore un évènement tout à fait insolite. En France, en 10 ans, nous avons subi Lothar et Martin, fin décembre 1999, puis Klaus en janvier 2009, ravageur dans les Landes, Xanthia aujourd'hui. Toutes des tempêtes exceptionnelles (et n'oublions pas le pendant de l'excès de "beau temps" de l'été 2003), dont la "durée de retour", comme l'on dit, est au moins de l'ordre du siècle (ce qui signifie qu'on les rencontre "normalement" pas plus d'une fois tous les 100 ans). Je me souviens d'un maire de la Vallée du Rhône qui, au début des années 90, avait utilisé cette formule dans les médias, lors d'un automne de pluies intenses et dévastatrices : "maintenant, nous avons des précipitations décennales toutes les semaines." Eh bien, nous en sommes là : maintenant, nous avons des tempêtes séculaires presque tous les 2 ans.

Alors, je dis que cela fait trop de coïncidences. Sans nier la variabilité inter-annuelle qui fait de notre climat tempéré un peu une fiction, guère plus qu'une moyenne d'épisodes de beau ou de mauvais, de froid ou de chaud, mon opinion est que la nouvelle fréquence, très insolite et très préoccupante, de ces tempêtes extrêmement violentes, est très probablement liée au réchauffement. Une tempête, aussi exceptionnelle soit-elle, prise isolément, rentre effectivement dans le cadre de la variabilité naturelle du climat, mais quand elles s'accumulent il faut modifier l'angle de lecture... et la formule d'interprétation. Ce n'est pas une démonstration, c'est plus qu'une intuition, c'est le constat de la simultanéité troublante de phénomènes nouveaux, qui déséquilibrent notre climat d'ordinaire moins agressif.



4) Vigilance.

On sait de quoi il retourne, il s'agit du dispositif mis en place par Météo-France après les tempêtes Lothar et Martin de fin décembre 1999. A l'inverse de la brillante prévision de la récente Xynthia, celles de fin du siècle avaient plutôt été un fiasco, et ce n'était pas vraiment de la faute des modèles, qui, dès le milieu de semaine, avaient anticipé un flux exceptionnellement rapide pour le WE. 

Déjà, je conteste l'utilisation du terme "vigilance". Une mise en vigilance recouvre pour moi l'attention qu'on attire sur un risque potentiel. Ce n'est qu'une étape de mise en condition du public, et, pour les services de sécurité, l'occasion de serrer les derniers boulons. Le temps fort de la mobilisation de tous devrait être l'"alerte", mot beaucoup plus fort. Après la préparation dans un contexte de risque probable, on passe à la phase active lorsque la dangerosité de l'évolution est confirmée, hautement probable. En somme, je verrais bien 2 phases dans le dispositif de prévision des risques : la mise en vigilance et l'alerte. Les modèles sont d'une fiabilité telle, désormais, qu'il me paraît possible de dissocier ces deux degrés, en adoptant une progression analogue à ce qui existe dans les îles pour le risque cyclonique.

Récemment, deux vigilances ont été spectaculairement et efficacement réussies. Une annonce de verglas sur la moitié nord du pays, 24h à l'avance, alors que le ciel est resté durablement clair sur le secteur menacé avant l'arrivée de l'aggravation nuageuse puis pluvieuse, l'annonce de Xynthia, deux jours avant, alors que, sur place (notamment dans les secteurs qui allaient être sinistrés), c'était le calme trompeur précédant le déchaînement des éléments. Deux cas où le dispositif fut tout près de la perfection.

Un progrès encourageant après toutes ces vigilances tardives, trop tardives, parfois même sur constat (la vigilance part de Météo-France quand les prévisionnistes détectent un danger qui vient d'éclater). Le public et les médias sont d'ailleurs d'une tolérance confondante. Souvent, dans les JT, évènement et vigilance sont annoncés simultanément. Et tout le monde d'applaudir, sans autrement s'interroger sur la finalité de la prévision : prévenir aussi tôt que possible. Je n'ignore pas, bien sûr, que malgré les extraordinaires progrès prévisionnels la nature réserve encore des surprises, que, notamment, le risque orageux reste compliqué à maîtriser, que ses déclenchements localisés, impromptus, violents, dévastateurs, ne sont pas rares, et qu'il n'existe guère de parade contre cela. Déjà, ce serait un pas en avant, de séparer, comme je l'ai préconisé maintes fois, les situations orageuses en trois grandes catégories : les "orages de beau temps" (expression apparemment paradoxale qui recouvre les orages isolés d'évolution diurne, et qui ne sont pas les moins sévères, loin de là), les "orages de limites de masses d'air" (la localisation potentielle est déjà plus précise, au voisinage de la ligne de fracture, assez facilement repérable et prévisible), les "orages de plages instables" (dont l'enveloppe territoriale est généralement fort bien prévue).

Pour éviter certaines surprises (exemple : chutes de neige abondantes, perturbant sérieusement la circulation, sur les contreforts nord du Massif Central - autoroute A72 - en régime de secteur nord, notamment de traîne instable ou de retours d'Est), on pourrait, je le crois, prolonger la solution déterministe du calculateur par une approche statistique. A savoir, utiliser les "analogues". Dès la fin des années 70, j'avais proposé, sans succès, forcément, que l'on construise, au quotidien et dans chaque station, une banque de données des évènements observés (éventuellement rien). En recherchant dans le passé, avec des outils statistiques, les situations les plus proches de celle prévue, on aurait pu dès lors, avec un patrimoine vécu de plus en plus dense, faire remonter et utiliser comme "clignotants" des cas sortis de la mémoire des prévisionnistes. L'EDF, à Grenoble, pour gérer le remplissage de ses barrages, a utilisé depuis les années 70, avec profit, cette approche pour anticiper les épisodes de précipitations intenses (cévenols en particulier). Le Centre d'Etudes de la Neige de Météo-France, à Saint-Martin-d'Hères, applique opérationnellement depuis plusieurs années la méthode, avec succès, pour affiner la prévision de distribution des chutes de neige par massifs.

Le "pixel" de base de la carte de vigilance est le département. Qui ne constate que c'est bien trop grossier au regard des possibilités actuelles ? Au-delà de cet affichage peu pédagogique, ne restituant pas la réalité esthétique des vraies perturbations, ce déficit de nuance aboutit à des résultats incongrus, comme des départements pris en sandwich entre d'autres coloriés différemment, et sans que cela soit justifié par le contexte géographique, ou bien, en situation de canicule, l'Isère verte voisinant le Rhône orange... D'ailleurs, la dernière canicule a plutôt montré des subtilités étrangères au vécu des personnes. La très forte chaleur était installée presque partout, avec effectivemen des noyaux plus forts, ce qui n'exonérait pas les secteurs les moins sévèrement touchés d'adopter aussi les mesures de précaution. La sensibilité personnelle à ce type d'aléas est tellement fluctuante qu'elle se moque bien des arguties technocratiques. Pour reprendre l'exemple de la canicule de juillet 2009, le résident d'une cité de Vienne souffrait tout autant que celui d'un quartier d'immeubles de Lyon. Savoir qu'il était en vert et pas en orange ne devait pas sensiblement réduire son inconfort et ses besoins en prévention... Le découpage départemental se justifie certes par l'organisation administrative de notre pays (Sécurité Civile d'abord), mais il n'est pas interdit de réfléchir à des modes de communication plus fins, à la fois organiquement pratiques et météorologiquement plus précis.

Météo-France alimente en continu la base Symposium dans laquelle les départements sont découpés en plusieurs zones  climatiques distinctes (jusqu'à 10 ou plus), selon la configuration géographique (bord de mer ou non, altitude, exposition à tel ou tel vent dominant...). Le calculateur sait prévoir à cette échelle, alors pourquoi ne pas moduler la vigilance en conséquence. Nos voisins suisses affinent l'alerte au niveau de la commune. Parce que c'est raisonnablement faisable (Arome, évolution récente du modèle de Météo-France, utilise une résolution de 2,5 km).

La météo hélvétique, encore, travaille avec une échelle de risque à 5 niveaux, intégrant "jaune clair" et "jaune foncé". Encore une différence de taille avec la présentation française où le jaune est une sorte de fourre-tout commode, qui recouvre un éventail de risques bien différents. Et ça n'est pas anodin. Météo Suisse complète son dispositif en proposant un abonnement gratuit, personnalisé, à ses SMS d'Alerte. Exemplaire ! J'ai balayé ici les aspects de la Com de la Confédération ; je suis bien convaincu que, sur le fond, sa prévision numérique vaut bien celle de notre pays, à savoir au top. 

Et puis, je suis choqué de constater qu'en vigilance jaune Météo-France dissimule la nature des évènements prévus. J'ai, dès la présentation de la maquette en 2001*, fait savoir que je n'étais pas d'accord avec cette disposition. La mise en ligne de la carte de vigilance européenne**, il y a 3 ans, je crois, montre clairement - et assez honteusement, j'estme - que la France est le seul pays d'Europe à agir ainsi. Pourquoi ???... Comment peut-on imaginer que le service public national en charge de la sécurité des personnes et des biens puisse rester évasif  sur un facteur de risque, même s'il est de niveau faible (et encore, on a vu plus haut le cas des orages isolés, éventuellement intenses, rangés logiquement dans le jaune - je suppose que nos amis suisses les classent dans le jaune clair ou dans le jaune foncé, selon le niveau d'instabilité, mesurable et prévisible) ? A l'échelle de notre pays, peuvent cohabiter, dans un même jaune, et donc la confusion, un risque de fortes pluies sur l'Aquitaine, un fort mistral dans la Vallée du Rhône, des avalanches sur le Nord des Alpes. Une pratique tellement insolite, opaque, pour ne pas dire dangereuse, qu'aucun autre pays d'Europe ne l'applique.

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5) Les modèles m'épatent.

Au long de cet hiver sans répit, j'ai envie de féliciter les modèles numériques de simulation de l'évolution du temps. Xynthia vient de prouver, une fois de plus, leur pertinence, dans un contexte pourtant très nerveux et complexe. Plusieurs jours à l'avance, ils avaient prévu son creusement intense, sa trajectoire, son timing. Pour avoir fait de la prévision avec un crayon et une gomme, je mesure à sa plus juste valeur, je crois, le niveau des exploits numériques au quotidien. J'en suis positivement bluffé.

C'est un peu comme aux JO, ou, plus généralement, pour toute activité maîtrisée ; ça paraît maintenant aller de soi, tout simple dans la sobriété efficace, comme les prestations des meilleurs athlètes. C'est cela la classe ! Ou plutôt, d'abord, l'accumulation de progrès au long de 40 ans de sophistication. Comme pour le geste sportif parfait, on est face à une oeuvre d'art, à une transcendance esthétique.

Si dans les 2 à 3 jours, on peut désormais admettre que la prévision des individus météo (anticyclone, dépression, fronts) et de leur corollaires (types de temps : températures, nuages, précipitations, vents), leur cheminement en lieu et temps, sont d'une remarquable précision, il me semble que les tendances (plus chaud, plus froid, amélioration, aggravation...) sont également très intéressantes, raisonnablement utilisables, jusqu'à 8 jours, voire davantage. Quand on connaît la complexité des interférences à gérer (nous sommes bien loin du train lancé sur ses rails à une vitesse connue), je trouve ces résultats vraiment enthousiasmants. A rendre anachronique le "papillon" puisque, quoi qu'il fasse, l'ordinateur anticipe où il va et comment. Ces remarques sont purement subjectives. Les services météo savent comment analyser en toute objectivité les performances et leur progression.

Est-ce à dire que c'est parfait ? Evidemment, non. Rien ne l'est jamais d'ailleurs (c'est d'un banal !). Car il est des phénomènes si subtils dans leur comportement (brouillard, averse, orage, neige ou pluie tout près d'un 0 °C qui fait la différence pour si peu, leur intensité, leur localisation...) qu'il n'est guère possible de fournir plus que des "enveloppes" qualitatives (ex : orages isolés probables en fin d'après-midi). Ce qui toutefois ne manque pas d'intérêt, surtout si on y ajoute des probabilités d'occurrence : une aide à la décision à n'en pas douter fort utile.

J'y vois une conséquence à développer : utiliser le temps gagné par cette massive et précise aide à la prévision de la technologie pour le consacrer à la communication, à la prise en charge experte, personnalisée, des besoins professionnels les plus délicats (la sécurité des biens et des personnes étant du ressort de l'assistance standard, de la mission basique du service public).

Je ne voudrais pas terminer en laissant croire que je me prosterne devant le moderne dieu ordinateur. Bien sûr, c'est le génie humain qu'il faut louer pour ces brillants résultats en si peu d'années à l'échelle historique. Ces calculateurs, le hard mais aussi le soft, sont uniquement du travail d'homme, l'accumulation d'inventions et de travail aux quatre coins de la planète. Ce qui m'épate, c'est l'intelligence.



6) Amer (ou le siège éjecté).
29/03/10

 Amer, c'est aimer sans son "i", un i arraché par indifférence et amnésie qui s'en vont avec...

J'ai appris la vente par l'Etat de l'immeuble de Météo-France, sis au 1 du Quai Branly. C'est à cet endroit précis, que, le 1er octobre 1961, à guère plus de 19 ans, j'ai connu mon premier contact concret avec la météo. A cette époque, l'établissement, administration d'Etat, s'appelait encore Météorologie Nationale. Son directeur, depuis 1945, était André Viaut, simultanément président de l'OMM (Organisation Météorologique Mondiale, section de l'ONU, basée à Genève).

André Viaut avait gravi les échelons hiérarchiques. Il avait été prévisionniste. Un de ses hauts faits est d'avoir assuré la protection météo du 1er vol transatlantique Est-Ouest, celui de Costes et Bellonte, en 1930, sur "le Point d'Interrogation". Il a rédigé des manuels de météo aéronautique, notamment le Manuel de météorologie du navigant et le Manuel de météorologie du vol à voile. Dans la collection Que Sais-Je ?, il a produit La Météorologie, qui eut un succés non démenti pendant des décennies.

Inutile d'ajouter que, pour le jeune provincial que j'étais, la découverte du siège de la Météorologie Nationale reste un souvenir profondément gravé sur mon disque dur. Un souvenir doublé d'une intense émotion, comme tant d'autres sans doute l'ont ressentie. L'immeuble en lui-même n'était pas spécialement beau, encore que majestueux en façade. Il contenait, outre les bureaux de la Direction, le SMM (Service Météorologique Métropolitain), c'est à dire la prévision opérationnelle centrale. l'EERM (Etablissement d'Etudes et Recherches Météorologiques), en partage avec Magny-les-Hameaux. A Trappes se trouvaient le CTM (Centre Technique du Matériel) et la station de Radiosondage. Quant à l'ENM (Ecole Nationale de la Météorologie), que j'allais intégrer le lendemain, elle se trouvait dans les Yvelines, à Bois-d'Arcy, dans le Fort de Saint-Cyr. On prenait les cours sur place, on pouvait s'y restaurer et y dormir, dans de longues casemates, sombres et austères mais tellement sympathiques et... gratuites. L'ensemble parisien, donnant sur l'avenue Rapp et la rue de l'Université est magnifiquement situé, en rive Gauche, juste à côté d'une gare du RER, à un bout du pont de l'Alma, tout près des Champs-Elysées, de la Tour Eiffel, du palais du Trocadéro, du Champ de Mars, de plusieurs ambassades. Cognac-Jay, haut lieu de l'ORTF était à 2 pas. Depuis peu s'ajoute à ce panel prestigieux le déjà célèbre Musée des Arts Premiers. Une vitrine modeste et assez tristounette, dans sa sobriété "scientifique" de l'époque, affichait pour le public de cet espace très fréquenté un ensemble de données mesurées sur place et à la Tour Eiffel, des cartes du temps présent, des cartes prévues (48h au plus !...)... Bref, un emplacement IDEAL.

Alors, apprendre que tout cela va disparaître, que l'Arabie Saoudite, et finalement la Russie ont mieux compris que nous que le lieu est hautement stratégique, me fait mal au coeur. Météo-France abandonnera son Histoire dans les années qui viennent pour rejoindre Saint-Mandé, dans un parc où est déjà établi l'IGN (Institut Géographique National). Il y a des raisons à cela, sans doute d'excellentes raisons. Mais en toutes circonstances, il existe souvent des alternatives. De mon point de vue, il fallait absolument conserver un pied-à-terre au quai Branly, ce fleuron, le vaisseau-amiral, pour le siège, pour une cellule multimédia de proximité avec les médias, forcément, mais aussi les autorités, les services météo étrangers, le public. C'était une question d'image (c'est vital l'image ! - on peut vivre sans, mais tellement mieux avec), mais aussi d'efficacité dans les relations avec le monde extérieur, même si Internet a aboli les distances et remplace communément le contact physique par du virtuel ; efficace, mais tellement moins humain, forcément (et l'humain n'apporte-t'il pas un bonus d'efficacité ?).

Météo-France a la chance d'être à la croisée de préoccupations modernes cruciales : la prévision du temps, celle du climat, l'environnement. Quand Météo-France soumet son projet de budget à l'Etat, quel ministère n'est pas concerné, ne s'en fait pas l'avocat ? Le public est avide de météo, les entreprises aussi, de toute nature. Pour peu qu'on sache enfin jouer la transparence , ouvrir le site Internet comme sait si bien le faire la NOAAl'Etablissement, de ses aptitudes à bien remplir et vendre des services efficaces, sur mesure. (prévisions mais aussi données d'observation, images satellitaires, images radar, sorties de modèles...), le rendre bien plus proche, bien plus attractif, les recettes publicitaires afflueront encore plus. Les demandes d'assistances spécifiques ne pourront qu'être boostées par cette découverte de la vraie compétence de

Oui, je suis triste qu'une solution alternative de maintien sur site - au moins partiel, pour l'essentiel - n'ait pas été retenue. Manque de foi, sans doute...



31/01/11


Selon l'ancien Premier ministre, Édouard Balladur, l'État ne doit pas se dégager de ses responsabilités..


"On peut s'interroger sur le bien-fondé d'une politique qui consiste, depuis quelques années, à vendre des monuments de notre patrimoine, souvent à des étrangers, sans toujours un grand discernement et ni des précautions suffisantes pour leur sauvegarde. C'est une action à courte vue, dont l'efficacité financière est d'ailleurs douteuse si l'on fait, sur le long terme, un compte complet des recettes et des dépenses entraînées pour l'État par de telles opérations.
...
"
(déclaration récente à propos du projet de vente par l'Etat de l'Hôtel de la Marine - 31 janvier 2011)
Certes nous étions avec l'édifice de Météo-France dans un cas de figure différent. Le bâtiment en lui-même ne devait pas avoir grande valeur, mais celle du site est inestimable, tant elle est stratégique et prestigieuse. Des atouts considérables au service de l'image d'un Etablissement appelé à prendre toujours plus de place dans la société. L'image est symbolique, mais le symbole est capital.



7) Météo multilingue.

La France, 1ère destination touristique mondiale. Ce statut flatteur, tellement mérité par la diversité de nos paysages, la richesse de notre patrimoine historique et culturel, nous impose des devoirs vis-à-vis de tous ceux qui nous font l’honneur de leurs séjours. A ce titre, il est bien normal que les milieux touristiques, les hébergeurs, les commerçants fassent l’effort de s’exprimer autant que faire se peut au moins en anglais, ou dans la langue du pays limitrophe.

Ce devrait être évidemment la même chose pour la météo. Il me semble que Météo-France a proposé naguère sur son site web une version en anglais. Je viens de m’assurer qu’elle existait bien. J’ai peut-être mal vu, mais je ne l’ai pas trouvée… Dans les départements touristiques la mise à disposition publique d’une prévision en anglais devrait faire partie des consignes, pour des raisons d’hospitalité et  évidemment de sécurité. Quel CDM est mieux placé que celui de Chamonix pour avoir à satisfaire ces deux obligations élémentaires ?

On a vu dans une précédente page d’humeur, que, justement, le besoin légitime exprimé par l’Office du Tourisme de Chamonix d’un message météo en anglais fut une des raisons majeures de la création d’une prévision bis par ce dernier. Une demande pourtant facile à satisfaire : les agents de Météo-France ont tous le niveau pour produire une version anglaise de leurs prévisions, dans une forme simplifiée, où les expressions d’ordre technique sont limitées et répétitives (un lexique interne à l’Établissement pourrait facilement jouer un rôle d’aide-mémoire).

Dès le milieu des années 70, j’avais évoqué ce souci auprès de ma hiérarchie. Il m’avait été répondu qu’il était hors de question que la Météorologie Nationale puisse s’exprimer autrement que dans la langue officielle. Puis j’avais imaginé une sorte de grille de saisie des rubriques météo de base, où il suffisait d’encadrer celles du jour (clair, peu nuageux, pluie, neige, orage…), en complétant d’autres par des chiffres ou caractères simples comme l’Iso 0, les directions et vitesses de vent… La grille originale (format A4), rédigée en français, pouvait se décliner en anglais, italien, japonais, inuit… Il suffisait de bien cocher les mêmes éléments sur chacune pour obtenir mécaniquement une traduction multilingue à dupliquer pour affichage multiple. Muté à Grenoble, en 1979, le projet est resté dans mes cartons…

Il serait très simple d’aboutir à un résultat équivalent, en bien mieux, avec les outils modernes d’infographie, en se servant des pictogrammes. Ces pictogrammes que j’avais utilisés pour notre panneau d’affichage dès la création de la station à pleine année, en novembre 1974. J’avais reçu à l’époque le renfort d’Alain Bravard, qui n’était pas vraiment formé pour la fonction à l’origine, mais qui se mit avec ardeur et rigueur au travail et fut donc un collaborateur efficace. Durant 3 ans, nous avons tourné seuls, renforcés accidentelleme (indisponibilités simultanées…) par des prévisionnistes de Bron. Pour réaliser le panneau d’affichage-vitrine rustique, qui présentait nos 3 bulletins quotidiens, une sélection tournante des conditions (type de temps, température, pression…) en France et dans les capitales d’Europe (pour satisfaire la curiosité des touristes sur l’actualité « chez eux »),  plus des documents plus techniques comme des cartes avec isobares et fronts, des analyses par Lannion des images satellitaires, j’avais obtenu le concours des services municipaux, et aussi de plusieurs personnes pour confectionner, selon mes souhaits, une carte de France couverte de pictogrammes. Un gendarme du PGHM, M. Léon Roussel-Galle, menuisier de formation initiale, avait sculpté dans de l’arole les divers symboles du temps sensible (brouillard, pluie, neige...), des nuages, des flèches pour le vent. Il les avait peints, vernis, puis munis à l’arrière d’une pastille magnétique. Comme le support de la carte (un modèle qui avait servi pour l’assistance météo aux JO de Grenoble en 1968, repeint et laqué par le spécialiste local des enseignes commerciales) était une plaque de fer, les pictos se disposaient à loisir selon la situation du jour sur la France et ses régions limitrophes. Chaque jour, Alain Bravard ou moi-même, composions la nouvelle « situation générale » observée à 1200 TU. Le bulletin de prévision pouvait ainsi prendre appui sur du concret actuel (l’accès à ces infos était autrement plus difficile qu’aujourd’hui où la TV, le web sont des sources permanentes et d‘une incroyable richesse). Parti de Chamonix, durant 15 ans j’ai défendu la pertinence des pictogrammes pour illustrer les bulletins de prévisions transmis aux OT par fax, pour Minitel (à ce propos, en 1986, j’ai créé le premier bulletin météo graphique national - et donc mondial, puisque la France était alors la seule en télématique ; innovation qui a recueilli l’adhésion enthousiaste des usagers mais pas de ma profession...), avec pour seul réponse l’incrédulité. Le premier à Météo-France à m’avoir approuvé, en 1995, fut M. Jean-Pierre Beysson, Énarque, nouveau P-DG.

Donc, aujourd’hui, les pictogrammes pourraient être une astuce commode pour présenter des prévisions en plusieurs langues. Il suffit, à partir de ce que l’on appelle la base Symposium de Météo-France (prévisions numériques fines supervisées et éventuellement corrigées par les prévis locaux, au pas de 3h, sur toutes les zones climatiques de chaque département, notamment les « massifs » en pays de montagne) de produire des documents où s’afficheraient les pictos. C’est un langage universel que l’on peut compléter à volonté de légendes en chaque langue pour répondre à la diversité de nos visiteurs.

Autre outil pour s’adapter aux besoins d’information de nos visiteurs : la composition automatique de prévisions écrites en plusieurs langues. J’ai participé assidûment aux travaux du projet « Multimétéo », projet financé par la Communauté Européenne, dans lequel collaboraient plusieurs pays (France, Espagne, Autriche, Pays-Bas, sauf erreur ou oubli). Il avait abouti, en 1999, à la possibilité de produire des textes prévisions en anglais, allemand, néerlandais, espagnol, à base de phrases simples, à partir de cette fameuse base Symposium. Étant en poste à Grenoble, j’ai testé la formule avec l’Office du Tourisme de Villard-de-Lans. Résultat sobre, mais fort intéressant, apprécié des touristes étrangers, et pourtant abandonné…

On le voit, les possibilités ne manquent pas. Aboutir n’est pas un problème de coût, ou si peu.



8) 40 ans...


Le 10 février 1970, déferlaient depuis la Sassière sur le centre UCPA de Val-d'Isère deux énormes avalanches qui s'épaulèrent pour détruire son chalet et ensevelir 39 victimes.

La veille, à Saint-Martin-d'Hères, où nous n'étions que deux agents et où nous alternions les semaines de prévision, j'étais justement de service. A ce titre, j'avais la charge de rédiger éventuellement un bulletin d'alerte avalanche. Enfin, un message très sommaire, préparé à partir de l'analyse d'un réseau d'information en montagne très limité et selon une méthode encore fort empirique. A cette époque, le Weissfluhjoch suisse, au-dessus de Davos, était le seul service de suivi et d'alerte vraiment performant. Le Centre d'Etudes de la Neige de la Météorologie Nationale, créé à la fin des années 50, disposait encore d'un effectif et de moyens réduits au col de Porte et à Grenoble, sur le Campus, dans les locaux duquel l'Antenne météo était hébergée. La catastrophe allait au moins avoir un résultat positif, donner un essor décisif aux recherches sur la neige dans notre pays, au point que le CEN est devenu, en quelques années, sans doute leader mondial dans la spécialité, notamment en modélisation de l'état du manteau neigeux et de la simulation tout à fait spectaculaire et efficace de son évolution.

Donc, ce lundi 9 février, je vois progresser par le NW une perturbation, une nouvelle, car depuis la mi-janvier elles s'accumulent. Des vents forts l'accompagnent, et je me méfie beaucoup de l'"effet orographique", qui dope les intempéries en montagne. Il me semble que cette situation mérite une alerte pour les autorités et les stations de ski. Mais, préalablement, il me faut obtenir le feu vert de Bron qui nous supervise et qui, de toutes façons, dispose seul des moyens de diffusion. En cours d'après-midi, j'appelle donc le Centre régional. Là, l'ingénieur, chef de la Prévi, me dissuade de préparer un message. Il ne reste plus qu'à appliquer les consignes... Pour couper court à toute interprétation fallacieuse, je me dois d'ajouter que ce collègue, après comme avant cet échange, fut constamment à la fois compétent et fort agréable. Ce jour-là, sa préférence ne fut pas chanceuse ; aucune conséquence ne peut en être tirée (il serait parfaitement malhonnête d'évaluer qui que ce soit sur un cas isolé). Pour chaque prévi, les coups heureux ou malheureux étaient monnaie courante à cette époque privée de support numérique.

Le lendemain, à mon réveil, je vois bien qu'il a beaucoup plu dans la nuit sur Grenoble ; visa ou pas, je suis décidé : je le rédigerai ce bulletin d'alerte, je l'enverrai à Bron, ils en feront ce qu'ils voudront. Aussitôt arrivé au bureau, vers 8h, j'examine la situation. Je n'ai pas encore les retours des quelques observateurs qui font quotidiennement des mesures pour nous en montagne, mais je commence la rédaction. Je ne vais pas bien loin... Un collègue du CEN entre dans le bureau. Ils nous apprend la terrible nouvelle : une avalanche meurtrière est tombée sur Val... L'alerte devient instantanément sans objet, grotesque...

Les nouvelles qui nous parviennent par la radio gonflent d'heure en heure le nombre des victimes. L'après-midi, Roger Clausse, ingénieur en chef, patron de MN/RE (service des Relations Extérieures, autrement dit le porte-parole de la Météorologie Nationale) me demande au téléphone...

Roger Clausse était un ingénieur à l'ancienne, érudit, qui a gravi les échelons, qui devait être le numéro 3 ou 4 de la Météorologie. Il a fait beaucoup de prévision. Il a écrit plusieurs manuels pédagogiques de météorologie générale, de météo marine, pour les enfants aussi. A son poste, il était le correspondant des médias, il supervisait en particulier la coopération avec le Centre des Glénans (formation des jeunes à la navigation de loisir), dans le Golfe du Morbihan. Il a fut le maître d'oeuvre de l'assistance météo aux JO de Grenoble, en 1968, où l'équipe de France de ski alpin a particulièrement brillé, et Jean-Claude Killy réussi l'exploit de cumuler 3 médailles d'or, grand schelem, jamais renouvelé depuis. Roger Clausse était à l'origine de la station météo de Chamonix, en répondant à la demande de Maurice Herzog, député-maire de la ville, soucieux d'améliorer la sécurité dans le Massif. Des porte-parole de sa trempe, il y en eut peu, le dernier étant Georges Dhonneur, qui termina sa carrière avec les JO d'Albertville, en 1992. Depuis ???... L'été précédent, le directeur de MN/RE était venu faire le bilan de la première expérience mondiale de météo montagne sur mesure, au coeur de l'activité alpine, à Chamonix. J'en étais l'animateur. Il était arrivé fin août. Il m'a dit, après, combien il fut étonné, choqué et inquiet, de ne pas être accueilli en gare, et de la réserve des Chamoniards à son arrivée à l'Office du Tourisme, où j'exerçais. Il avait l'habitude qu'on lui déroule le tapis rouge ! Moi, par inexpérience du protocole, et parce qu'il fallait que je produise ma prévision de l'après-midi, je n'avais pas bougé. Et puis, il découvrait que les Chamoniards ne sont pas exubérants. Un peu plus tard, au sortir de la réunion, il était rayonnant : l'expérience était un vrai succès ; tous autour de la table avaient multiplié les commentaires de satisfaction. La reconduction du test pour l'année suivante était expressément souhaitée par toutes les composantes de l'activité alpine et touristique.  Roger Clausse me rapporta au dîner la fluctuation de ses sentiments, car il avait accepté de le partager avec nous, dans le chalet que nous avions pu louer cet été-là, à un prix amical, en y engloutissant les frais de mission - avec plaisir.

Mais en ce jour de tragédie où la météo s'est "plantée", le ton est bien différent. Roger Clausse n'est pas du tout de bonne humeur, forcément. Mais pourquoi n'avez-vous pas lancé d'alerte ? me questionne-t'il sèchement. Et là, je joue l'imbécile, je vais chercher des arguments tordus, comme on le fait avec les gendarmes quand on a vraiment fait une faute et qu'on essaye de s'inventer des excuses. Je bredouille : d'abord je ne suis pas assez compétent, nous manquons de moyens... C'est un peu vrai, pour les moyens, un peu moins pour la compétence puisque j'ai été formé en nivologie, que je participe même à la formation de nos correspondants observateurs. Pourquoi cette défense maladroite, et surtout cette abnégation ? Un réflexe. Parce qu'il n'est pas dans ma culture de dire "c'est pas moi, c'est lui". En somme, "je couvre mon supérieur". Mais ma petite notoriété naissante en prend un sacré coup...

La France est secouée. La TV programme, quelques jours plus tard, une émission spéciale (Les Dossiers de L'Ecran me semble-t'il), où le ban et l'arrière-ban des experts sont présents. Sûr que pour Roger Clausse, invité, naturellement, la situation eut été bien plus confortable s'il avait pu produire en public la fameuse alerte avortée. Mais la mort de tous ces jeunes vacanciers n'aura pas été complètement inutile, puisque le gouvernement charge la Commission Saunier d'une mission d'enquête et de propositions. M. Saunier est un préfet. Autour de lui de brillants spécialistes. De mémoire : Louis Néel, du CEA/Grenoble, prix Nobel de Physique, Roger Frison-Roche, Jean Franco, directeur de L'ENSA (Ecole des guides et moniteurs de ski de Chamonix), brillant alpiniste, ayant notamment à son actif des "premières" audacieuses au Makalu et au Jannu (chef d'expédition à chaque fois), Louis de Crécy, ingénieur en chef au CEMAGREF de Grenoble, Paul Perroud  du CEA/Grenoble, Philippe Traynard, universitaire, président du CAF... Elle déboucha vite sur la création de l'ANENA (Association pour l'Etude de la Neige et des Avalanches), qui regroupe et anime la synergie de tous les acteurs concernés. Cette mobilisation des compétences et la détermination politique ont fait de notre pays un des tout premiers, sinon le premier, en matière de prévention du risque avalancheux.

De cette péripétie, je n'ai pas reparlé durant vingt ans, jamais avec mon interlocuteur lyonnais. Comme j'ai entretenu avec Roger Clausse une correspondance durable - oh ! seulement un échange de voeux au Nouvel An, jusqu'au début des années 90 ; je lui devais bien cette politesse après l'heureuse épopée Chamonix -, je lui ai enfin "lâché le morceau". Il n'a pas réagi, j'en fus contrarié. Très âgé, malade, il décéda quelques mois après. Sans doute, avait-il évacué de ses centres d'intérêts ces souvenirs professionnels. Dix ans plus tard, j'ai évoqué cela avec des responsables de Météo-France, des collègues "amis". Leur indifférence m'a consterné ("c'est de l'histoire ancienne..." certes ; mais l'auraient-ils écrite pareillement ?).

Une alerte à temps aurait-elle changé quelque chose sur le terrain, sauvé des vies ? Evidemment non. Elle aurait forcément été assez vague, en tout cas pas ciblée sur un couloir particulier. A ma connaissance, cette précision reste impossible aujourd'hui encore, même si la recherche progresse. Val-d'Isère n'imaginait pas, à l'époque, qu'une telle catastrophe était possible, sinon, déjà, l'UCPA ne se serait jamais installée dans ce chalet. Les progrès considérables réalisés depuis consistent notamment en une cartographie précise des couloirs à risques (CEMAGREF), en rassemblant quantité de moyens d'investigation modernes et la compilation des témoignages du passé.

Personne ne m'a jamais rien reproché par la suite. Je n'ai été en aucune manière sanctionné. Par contre, il me paraît vraisemblable que la connaissance de la Vérité aurait représenté un bonus sans doute porteur sur mon CV...

     



9) Jacques.

 Jacques Villecrose a disparu tragiquement en 2004.

Ingénieur, il fit partie de mon équipe durant près de 20 ans. C'était un très bon prévisionniste météo, c'était aussi un excellent nivologue, qui me bluffait par la finesse et la justesse de ses bulletins d'avalanche.

Personnellement, si je trouvais la nivologie passionnante en tant que science - et Dieu sait que les progrès de sa connaissance intime ont progressé, grâce aux avancées du Centre d'Etudes de la Neige de Météo-France, à St-Martin-d'Hères - je n'avais pas beaucoup de sympathie pour cette discipline dans son versant opérationnel. Pourquoi ? Voici. En météo, il existe des périodes difficiles, où les évènements vous glissent entre les doigts, insaisissables... Je me souviens de ces fins d'après-midi où, à Chamonix, sans autre aide, bien fragile, que mes souvenirs incertains de situations passées, j'avais envie de rédiger ainsi mon bulletin : on verra bien demain. Il existe effectivement des contextes pourris, des régimes de SW instables, des "marais barométriques" maléfiques, des flux de "traîne" capricieux, où on sent qu'on n'a plus la main (d'où ma longue revendication d'un "indice de confiance", appréciation subjective par rapport à son propre pronostic, "aide à la décision" délivrée au destinataire pour qu'il perçoive, immédiatement, l'aisance ou la perplexité du rédacteur). Mais, a contrario, un jour survient une "situation béton", un "temps de curé", une "tempête de ciel bleu", où on peut se lâcher, faire le cadeau du "Grand beau" aux usagers. Une respiration qui fait du bien à tous. Pouvoir faire plaisir à l'autre, n'est-ce pas la plus grande satisfaction ? En nivologie, rien de tel. Dès qu'il y a de la neige, il faut se méfier. La montagne enneigée est merveilleuse, mais aussi mystérieuse, sournoise même. Alors, par précaution, et d'abord parce que c'est la réalité, durant toute la saison "hivernale" (jusqu'au randos de mai), il n'est pas possible de libérer son texte, d'annoncer que "c'est tout bon". Toujours une "plaque" enfouie, par ci par là, inconnue, tapie... Le grand spécialiste suisse du Weissfluhjoch, André Roch disait : vous êtes expert, mais la montagne ne le sait pas. De fait, même les meilleurs peuvent se faire prendre, s'ils ne sont pas constamment vigilants.

Jacques maîtrisait bien ces arcanes. Grand sportif, passionné de ski de rando, il conjuguait théorie et pratique skis aux pieds. Son efficacité, il la devait à ses connaissances théoriques affirmées, à son expérience, à son amour passionné de la montagne. Il s'était fait prendre une ou deux fois par une coulée. Et pourtant, cet anxieux retournait là-haut, aimanté.

Ce fut une chance pour moi de pouvoir lui confier la responsabilité de la "cellule nivo" de St-Martin-d'Hères. Il s'acquittait excellemment de cette fonction, respecté par les agents de son équipe : la compétence ne ment pas...

Jacques était un écorché, un susceptible. Fonctionnant sur le même mode, j'avais appris à ne pas dépasser la ligne blanche qui le faisait se cabrer. C'était d'ailleurs réciproque. Nous étions complémentaires. Je lui dois cette reconnaissance de m'avoir souvent demandé mon point de vue sur telle ou telle situation météo. Je sais qu'il appréciait mes analyses, comme j'étais impressionné par la pertinence des siennes pour ce qui concernait la neige.

C'était de plus un excellent rédacteur. Il aimait écrire, il avait le sens du mot juste, de la formule appropriée. Très cultivé, sans ostentation, il a, selon les rumeurs, écrit incognito des romans policiers. C'était sa part de mystère...

Jacques entretenait dans les milieux montagnards sportifs, un discret mais efficace réseau de connaissances. Quoique appréhendant l'exercice, il aimait à intervenir dans les médias où son aisance pédagogique était reconnue. Fort de tous ces talents et d'une solide maturité professionnelle, il avait obtenu sa mutation au CEN, pour le poste de chargé de communication, ce qui incluait l'évolution du contenu et de la présentation des bulletins avalanche, notamment sur le web, et les relations avec les services étrangers équivalents. Heureusement, je fus privé peu de temps de ses compétences, puisque moi-même je pris mon envol pour d'autres cieux quelques mois plus tard.

Je me souviens de cette anecdote où ne le voyant pas arriver au bureau, je devins inquiet. Au point de téléphoner à sa compagne, très surprise et un instant alarmée. Pour ce qu'elle savait, ce jour-là il partait en mission à Lyon. Confus, ce souvenir me revint. J'avais oublié... Le lendemain, Jacques me fit savoir que l'incident ne lui avait pas plu du tout. A juste titre !

Et puis, j'aurai l'occasion de revenir sur ce point que je considère comme très important, il fut le seul à me soutenir lorsque j'affirmais que la mission du prévisionniste ne s'arrête pas au dernier point de son bulletin, mais que l'on doit aussi à l'usager des commentaires, des compléments adaptés à son contexte, à ses préoccupations, bref des conseils spécifiques experts. Dans ses relations avec les maires des communes de montagne, il tenait à ce dialogue, à ce rôle de conseiller avisé. Un  maire n'est pas forcément qualifié en tout. Beaucoup, très certainement, ont apprécié cette disponibilité qu'il avait pour essayer d'examiner avec son interlocuteur les solutions qui pouvaient être adoptées pour prendre telle ou telle mesure d'interdiction de circulation, voire d'évacuation. Charge extrêmement lourde où un soutien solidaire n'est pas superflu. J'appelle, profitant de ces considérations, à réfléchir au poids des responsabilités des élus, des services de sécurité, du préfet lui-même. Et notamment ceci : s'il est relativement facile de décider de fermer une route ou de faire évacuer un hameau menacé, il est bien plus difficile de lever les restrictions. La prudence exige d'attendre une consolidation avérée (mais à quel instant l'est-elle vraiment ?...), la pression des citoyens contraints, de plus en plus impatients, voire révoltés, agit exactement en sens inverse...





10) Sur le fil du rasoir...

 Je reviens 40 ans en arrière, un recul qui me confère, je le crois, une crédibilité, sinon l'exclusivité de la vérité, que personne n'a jamais au reste détenue, dans quelque domaine que ce soit. Crédibilité de l'expérience, crédibilité d'un parcours de prévisionniste transgénérationnel (avant et après le numérique), crédibilité d'une "certaine idée" de l'assistance, crédibilité de l'autonomie que procure le statut de retraité.

En 1969, je commence, le 1er juillet, une nouvelle carrière, au contact des utilisateurs, au "front", pour respecter ce langage martial que les météorologistes norvégiens des années 30 (la prestigieuse Ecole de Bergen) ont retenu pour décrire les affrontements atmosphériques. Pas de conflit à Chamonix, la plupart du temps, du moins entre les personnes, et, lorsqu'ils s'en présentent, très rarement, ils ne sont que verbaux. Par contre, conflits d'intérêts fréquents, forcément, entre les professionnels de la montagne et le météo néophyte qui, à son corps défendant, donne un coup de pied dans la fourmilière des habitudes. Jusque-là, en effet, le guide fait la loi dans ses rapports avec le "monchu" qui souhaite l'engager pour faire une course. Et c'est bien normal. Le guide est dans son fief, il connaît sa montagne, il est le plus qualifié aussi pour savoir comment vit l'atmosphère dans son secteur. Il a sa propre expérience (les "signes"), assez souvent construite douloureusement, contre des éléments naturels rudes, dangereux, qui ne laissent aucune place au dilettantisme. Il a hérité des enseignements de plusieurs générations de pairs. Quoi de plus logique que sa parole soit d'or dans un échange avec son "client".

Le météo qui arrive dans la Vallée n'est pas un magicien ; il représente une sorte d'éclaireur du progrès scientifique. Tâche extrêmement délicate, pour plein de raisons. D'abord, je suis un enfant des plaines. Mon attirance pour la montagne, je la dois à des vacances, et, pour ce qui concerne Chamonix, aux romans de Roger Frison-Roche (impressionné, en particulier, par ces pages sur l'orage, la menace mortelle tapie dans la ouate impalpable de la nuée, les "abeilles"...). Quelle chance d'avoir pu exercer ma passion dans cet univers... et rencontrer le grand écrivain ! Je ne suis qu'un randonneur amateur, je me sens comme un "rampant". La météo de contact existe depuis longtemps au service des pilotes, exercice que j'ai un peu pratiqué, qui m'a séduit par sa complémentarité, très humaine (le savoir de l'un épaule celui de l'autre, et inversement, par le "feedback"). Rampant sincèrement impressionné par ces "conquérants de l'inutile", dont je côtoierai les plus grands noms. De plus, mon expérience de prévisionniste en montagne est dérisoire, comme celle de tous mes collègues d'ailleurs. J'ai bien fait un stage de préparation à Bron, mais la montagne en est bien loin, sinon physiquement du moins dans sa vie intime. Pendant deux ans toutefois, je me suis appliqué - c'était ma mission - à analyser des quantités de situations de toute nature, et j'ai essayé d'en comprendre le comportement sur le relief. Météo de labo, avant la météo in vivo. 

Première préoccupation : la sécurité. C'est la raison première de la création de l'antenne estivale expérimentale. Cela ne fait aucun doute, elle ne doit faire l'objet d'aucun compromis. Combien de fois n'ai-je pas entendu insinuer par des alpinistes visiteurs mécontents (la porte était ouverte à tous) que je recevais des consignes, dans un sens ou l'autre, soit de l'Office du Tourisme, soit de la Mairie, soit des professions touristiques, soit de ma hiérarchie ?... JAMAIS ! J'ai toujours été complètement libre, ce qui n'est pas forcément confortable, mais indispensable. La seule pression qui s'imposait à moi était, de temps à autre, la déception, l'agacement, la mauvaise humeur bien compréhensible du public (la mienne aussi !), lorsque le mauvais temps durait, contrariait les projets des semaines entières (et la période était riche d'"étés pourris" lors de ce fameux "palier" des années 50 à 80). Pression prégnante, psychologique, lorsque, dans ce contexte d'intempéries persistantes, je ratais une bonne "fenêtre", la demi-journée ou la journée de transition fugitive qui aurait permis une belle sortie.

Grands noms ou pas, les professionnels de la montagne y gagnent leur pain quotidien, en prenant en charge des passionnés qui leur confient leur sécurité, leur vie. Par respect, doublé d'admiration, ma seconde forte préoccupation est de perturber le moins possible l'exercice de ce métier noble et exposé. Et si possible, d'être assez habile pour, justement, annoncer à temps le bon créneau qui semble se préparer. Il serait trop facile d'"ouvrir le parapluie", d'appliquer un trop systématique "principe de précaution", non dit à l'époque mais implicite (jusqu'où la "marge de sécurité" ?). Facile mais désastreux, pour le monde de la montagne, pour la crédibilité du test météo.

On est là face à un très difficile dilemme, une contradiction fondamentale (feu vert et feu rouge à la fois !). Ambiguïté aggravée par l'état de l'art de l'époque. La prévision assez fiable ne dépasse pas 48h. Les moyens sont loin d'être anodins, mais ils sont encore bien fragiles. Pourtant, avec moins encore (sans l'apport satellitaire), des générations de prévisionnistes ont fonctionné ainsi, jusqu'à élaborer des "protections" pour les premiers vols transatlantiques, puis ceux des héros de l'Aéropostale, les Mermoz, Saint-Exupéry, Guillaumet, fixer le "D-Day" du débarquement... Alors, une seule réponse : l'exigence. L'exigence pour prévoir sur "le fil du rasoir", avec à l'esprit, constamment, ces deux contraintes, ce double devoir. Il va sans dire que cette éthique concernait l'ensemble des usagers, pros ou non.

Comme toujours, le clivage, parmi les guides, sépara, grosso modo, jeunes et anciens. C'est dans la nature des hommes. Les anciens étaient plus méfiants, certains, rares, très rares, peut-être hostiles, évitaient mon regard quand on se croisait. Les jeunes, curieux, voire enthousiastes, venaient me voir souvent, avant le "tour de rôle", ou après. Je répondais à leurs questions. A ma demande, eux faisaient une sorte de compte-rendu informel de leur journée là-haut, m'apportant des détails que je ne pouvais connaître sur la force du vent, les conditions côté italien ou simplement dans la Vallée Blanche. Les échanges étaient fructueux aussi, de part et d'autre, avec les "météo-sceptiques", parfois portés à mettre le doigt sur mes erreurs, comme un réflexe de défense nostalgique. J'ai bien compris que leurs réticences ne s'appliquaient pas à moi-même, qu'ils étaient seulement bousculés par l'intrusion d'une nouvelle ère, qui leur donnait un vertige qu'ils ne connaissaient pas, même dans les parois les plus abruptes. Nous partagions nos connaissances. Eux me confiaient leurs "signes", que j'essayais de traduire en langage physique. Pour ma part, j'avais le gros avantage de pouvoir, par les cartes reçues, étendre mon horizon jusqu'aux rives du Québec. Je n'ai pas oublié, parmi ces anciens, Gilbert, Pierrot, Norbert... Ce dernier, notamment, m'apprit, sur le pas de porte de la Maison de la Montagne, comment certaines dalles rocheuses d'altitude luisaient à l'approche du mauvais temps, comment les cristaux d'une chute de neige pouvaient soudain briller à la lumière des lampadaires, que cela signifiait qu'ils étaient les derniers, et je l'interprétai comme la conséquence du refroidissement qui accompagne effectivement souvent la fin d'une perturbation...

Lorsque je revins passer des vacances à Chamonix, l'année après l'avoir quittée avec bien des regrets, je vis passer à vélo dans la rue l'un de ces "anciens méfiants", avec lequel j'avais souvent discuté, puisqu'il était guide-chef et que, dès lors, nous nous voyions régulièrement dans ou devant la Maison de la Montagne. Il me fit un signe de la main. Puis descendit de son vélo et vint demander de mes nouvelles. Ce geste spontané me fit énormément plaisir. Il eût pu, sans que je puisse  trouver cela le moins du monde anormal, se contenter de son salut. Quelque chose de fort s'était donc bien installé durant ces dix dernières années : le respect mutuel et sans doute plus encore : l'estime. C'était aussi la forte traduction humaine d'une "météo de proximité", à l'écoute, pour et par les utilisateurs, à l'opposé de la "météo-forteresse" d'aujourd'hui.

En ces temps incertains, les erreurs n'étaient pas rares, et mêmes les grosses erreurs, malgré le soin apporté à les éviter. Lors de la 4ème ou 5ème saison, plus aguerri, je m'imposai la notation qualitative de mes propres prévisions, sans concession. Durant les 3 premières semaines de juillet, j'arrivais à un quasi sans faute. C'était inespéré. Et puis s'installa un de ces "marais barométriques" perfides, où j'accumulais les contre-performances. A conditions quasi constantes d'un jour à l'autre, l'orage éclatait ou bien le matin ou bien l'après-midi, voire pas du tout. De longues éclaircies s'infiltraient au hasard entre deux ondées. Désagréable impression de jouer constamment la prévision aux dés. Et ça pouvait durer 7 jours ou plus. Une autre fois, un front ondulant dans un flux de SW, se stabilisa au niveau du Massif Central. Durant toute une semaine, je fus conduit à mettre en garde pour le lendemain contre une sérieuse aggravation, dans la perspective du décrochage inévitable du système orageux. Et chaque jour, le ciel restait d'un bleu lumineux, seulement parcouru, au niveau des plus de 4000, de rouleaux blancs éclatants, très rapides. A devenir fou ! Et à se prendre un coup de fusil (on brûlait bien les sorciers maladroits naguère...). Evidemment, je m'en voulais. Mais le recul me permet de constater que, 40 ans plus tard, ces types de temps donnent encore bien du fil à retordre aux prévisionnistes et des surprises douloureuses.

La météo, depuis, a fait un bon qualitatif exceptionnel. Xanthia vient d'en illustrer la fiabilité tout à fait étonnante pour qui a connu les années pionnières. L'ordinateur est plus qu'une aide à la prévision, c'est la prévision. Pourtant, il convient de rester humble face à la Nature. Beaucoup réduire le champ d'incertitude n'est pas le supprimer. Si les perturbations d'ampleur, dans l'espace et le temps, et même les exceptionnelles, sont désormais magnifiquement anticipées, il reste nombre de circonstances délicates non maîtrisées. Je pense bien sûr à ces régimes orageux aux foyers ponctuels éventuellement très violents (insaisissables justement à cause de leur localisation hasardeuse et de leur fugacité), à ces chutes de neige catastrophiques pour la circulation, suspendues à une différence de température insignifiante, qui narguent encore le cyber-météo. Le "fil du rasoir" reste un challenge d'actualité. Il suffit toujours de si peu, quelquefois, pour que le ciel affecte ou pas, gravement, les déplacements, l'économie, la santé, la sécurité.

Entre le "Grand Beau" et l'Orage, il n'y a souvent pas davantage que l'épaisseur d'un flocon.

 

   



11) Jean-Jacques Mollaret.

Celui qui,
dans la neige profonde,
n'a jamais fait sa trace,
qu'un coup de vent efface,
sait-il l'Espérance ?


JJ. Mollaret, Au-delà des cimes

Jean-Jacques Mollaret fut victime d'une avalanche, le 24 décembre 1992, à la Foux-d'Allos, dont il était le directeur. Il participait à un déclenchement artificiel pour sécuriser des pistes fortement enneigées en ce début de vacances. Tombé dans un coma sans rémission, il devait décéder le 10 mars suivant.

Loin de moi la prétention d'écrire sa biographie. Simplement, je veux un peu évoquer un homme que j'ai admiré pour son charisme, son exemplarité professionnelle, sa proximité chaleureuse et bienveillante.

Quand j'ai débuté à Chamonix, en 1969, Jean-Jacques Mollaret, commandait le PGHM, en tant que lieutenant (nommé à ce poste à 26 ans !). Quand on connaît la rudesse du métier, les responsabilités que la fonction exige, cette maturité est impressionnante. Maurice Herzog, député-maire de Chamonix, était, ès-qualité, président de la Société chamoniarde de secours en montagne, Jean-Jacques Mollaret en était depuis peu le secrétaire-trésorier, c'est à dire la cheville ouvrière.

A partir de cette date, j'ai eu très régulièrement l'occasion de côtoyer Jean-Jacques Mollaret dans le cadre de ses diverses activités ou à titre privé. 

En 1972, avec Gérard Devouassoux, il crée l'Office de Haute Montagne. Ils l'installent dans l'ancienne cure devenue la Maison de la Montagne. Cette imposante bâtisse traditionnelle rassemble, pour la meilleure synergie, les guides de la Compagnie de Chamonix, les moniteurs de l'ESF, l'OHM et la météo. L'OHM propose, sous l'autorité d'un guide, d'abord André Contamine puis Félix Martinetti, un service d'information des alpinistes avec hôtesses d'accueil, une documentation fournie (dont une monumentale carte en relief du massif), un registre d'enregistrement des courses réalisées, où les détails consignés s'avèrent précieux pour les projets des cordées. La Maison de la Montagne, dès lors, devient le coeur palpitant de l'activité montagnarde, qu'elle soit professionnelle, alpine, ou tout simplement tournée vers la randonnée, la balade. En 1973, promu capitaine, Jean-Jacques Mollaret reçoit le commandement de la toute nouvelle Compagnie de Gendarmerie de Chamonix. Gérard Devouassous disparu dans l'Everest en 1974, il porta dès lors tout le poids du développement de l'OHM. Je quittai la Vallée en 1979, tandis que le capitaine était devenu commandant. Il m'avait dissuadé d'accepter ma mutation pour Grenoble, car il considérait que mon avenir était à Chamonix. Comme il ne manquait pas d'humour, sur le moment, je me demandai s'il était sérieux. Lui-même s'éloignait du Mont Blanc en 1981 et termina sa carrière militaire à La Réunion.

Lorsque la station météo devint permanente, début novembre 1979, je souhaitai mettre à disposition de tous un panneau d'affichage devant la Maison de la Montagne. Jean-Jacques Mollaret coordonna les compétences avec sa maîtrise habituelle. Notamment celle du chef Léon Roussel-Galle, son secrétaire, qui sculpta, peignit, vernit, dota d'une pastille aimantée, une multitude de superbes pictogrammes météo à répartir sur une carte de la situation quotidienne.

Personne à Chamonix n'a oublié sa forte personnalité, son investissement dans l'évolution des moyens de secours. Il s'est battu pour que tous les refuges soient équipés du téléphone. Ce n'était pas qu'un homme d'administration, il payait de sa personne, il donnait l'exemple. Je me souviens de ce jour, où, revenu en vacances, je le rencontrai dans son bureau de la Compagnie. Justement, il m'expliqua que le chef doit toujours être avec ses hommes dans les moments difficiles. Et il le faisait. Il participait aux sauvetages. Il se porta lui-même volontaire pour descendre dans une crevasse afin de tester, en tant que victime simulée, le "parachute thermique" (insufflation d'air chaud pour éviter le refroidissement de l'alpiniste coincé par la glace). En charge du maintien de l'ordre, il s'était retrouvé, de nuit, pistolet mitrailleur à la main, dans une opération d'interception de voyous près du viaduc Sainte-Marie. Sans vouloir esquiver mes responsabilités, car ces moments-là étaient forts, enrichissants, il m'était arrivé de confier à un collègue le soin de me représenter en Commission de sécurité, pas pour me défiler, mais avec l'intention de le valoriser, puisqu'il avait préparé la prévision. Ce fut une leçon. Il témoignait en même temps d'un grand respect pour ses hommes et je crois savoir qu''ils lui rendaient bien ; il obtint d'ailleurs pour eux des avancées importantes en matière d'assurance.

Fort caractère, lui si prévenant ne mâchait pas ses mots. Il se méfiait des bureaucrates éloignés, coupés du concret. Malgré son action professionnelle exemplaire, j'ai cru comprendre qu'il avait dérangé les routines, que la hiérarchie n'avait pas aimé. Il était probablement trop compétent, trop franc, trop grand... Si je m'en tiens à la  presse locale, il est très regrettable que son départ de Chamonix se soit accompli dans une discrétion que son action novatrice, dévouée et courageuse ne méritait pas. Dommage qu'il n'ait pas bénéficié au moins - son oeuvre était tellement plus engagée, plus grande - du même témoignage de reconnaissance et d'amitié, fort émouvant, unanime, auquel j'eus droit à mon départ deux ans plus tôt.

Je me souviens de lui lors de ces réunions où il posait sa casquette sur la table pour expliquer avec une autorité impressionnante, un propos clair, fort et plein de bon sens, qu'il n'y avait plus de capitaine mais seulement lui, avec ses convictions, que s'il fallait tergiverser ce serait en son absence. Je me souviens des pique-niques qu'il offrait aux amis dans sa maison de fonction des Bois. Un hôte charmant, attentif, cultivé (quatre livres à son actif). Une épouse accueillante, quatre enfants éparpillés dans le pré alentour. Je n'ai pas oublié qu'au printemps 1975, il me proposa de me conduire au Mont Blanc. Je n'étais pas équipé, je n'avais aucun entraînement, aucune expérience de la très haute montagne. J'ai décliné. Je peux me reprocher cette faiblesse, car je n'aurais pu mieux être pris en charge...

Je souhaite associer à cet hommage, tous les secouristes qui concourent à la sécurité dans le massif du Mont Blanc, dans tous les massifs du monde, qui sont des partenaires obligatoires, tant la météo pèse sur la rapidité et l'efficacité de leurs interventions. En France, cette mission revient, selon les sites, les périodes, aux gendarmes des PGHM, aux CRS montagne, aux pompiers, aux pilotes d'hélicoptères de la Sécurité Civile, à des médecins. Avant l'organisation administrative permanente, au milieu des années 60, le secours fut dès l'origine de la responsabilité spontanée des guides, assistés bien plus tard par les militaires de l'EMHM, lors de drames compliqués et prolongés, quand l'hélico n'existait pas encore, ou manquait de puissance. Les secouristes sont des sportifs de très haut niveau, qui s'entraînent constamment. Ils doivent maîtriser avec excellence les techniques alpines les plus sophistiquées pour être opérationnels "tous temps", dans les circonstances les plus acrobatiques, les plus exigeantes, les plus exposées. Les pilotes, quant à eux, poussent leurs engins à la limite de ce que leurs pales peuvent accepter de proximité avec la roche, parfois malmenés par des turbulences sournoises. Mais ce n'est pas tout. Toutes ces difficultés extrêmes ne sont rien à côté de la dimension humaine, psychologique. Quand le sauveteur atteint et évacue un corps disloqué, jeune le plus souvent. Quand le chef ou son adjoint, jeunes aussi en général, doivent maîtriser leur émotion intense, trouver les mots, justes, compatissants et terribles à la fois, pour annoncer l'implacable aux parents, à la compagne, aux enfants... Tous ces hommes-là ne roulent pas les mécaniques, mais je sais qu'ils sont des héros, intervenant constamment en haute saison. Anne Sauvy illustre parfaitement les exigences et la noblesse de leur profession dans Secours en montagne, chronique d'un été entier consacré à partager l'activité du PGHM chamoniard.

Quelques semaines avant sa disparition, je croisai par hasard, Jean-Jacques Mollaret devant chez Arthaud, à Grenoble, en civil (vision nouvelle, un peu étrange...). Echange rapide. Puisqu'il était de retour, qu'il avait de la famille très proche dans l'agglomération, nous allions forcément nous revoir de temps à autre désormais. Mais une question me taraudait : Dites, quand vous m'avez dit, en 1979, que je faisais une erreur en acceptant ma mutation à Grenoble, vous étiez sérieux ? Oui, bien sûr... On ne devait plus se revoir.

 
 


12
Changement d'"air".






13)  Les mots pour le dire.



Nuageux
, savez-vous ce que le mot recouvre au juste ? Je suis persuadé qu'en questionnant plusieurs personnes on obtient des réponses très différentes. Certaines vont répondre couvert, d'autres un peu de nuage dans le ciel, d'autres beaucoup de nuages, et aucune réponse n'est idiote. 

Si on examine les bulletins de prévisions rédigés par les météorologistes officiels, on ne sera guère plus avancé. Pour preuve, il m'est arrivé de voir dans des messages diffusés par la télévision "nuageux avec éclaircies". On en déduit qu'il doit donc exister un "nuageux sans éclaircies", ce qui s'appelle tout simplement "couvert". 

La confusion est totale, même dans les rangs de Météo-France. On pourrait penser que la "démarche Qualité" qui a aboutit à un label "iso" authentifié, a mis de l'ordre dans ce vaste flou. Eh bien non. D'ailleurs la réflexion sur la Qualité n'a pas concerné la présentation des bulletins destinés aux répondeurs départementaux, dont les mots, les formules, la présentation n'ont pas bougé depuis 40 ans. Et pourtant les moyens de traiter les textes, d'y insérer des graphiques, des pictogrammes, des cartes, de la couleur, ont spectaculairement évolué durant cette période. Comme me l'a dit, il y a plus de 10 ans, un directeur d'Office du Tourisme : vos bulletins affichés ressemblent à des avis de décès. Je n'ai pu que l'approuver et lui affirmer combien j'avais pourtant oeuvré à mon niveau pour essayer de bousculer tout cela. 

Il revient évidemment au service public de donner le la, de définir une bonne fois ce que chaque terme technique représente. En utilisant constamment les mêmes mots, les mêmes expressions, Météo-France imprégnera le public de son langage, de son code implicite en quelque sorte. Il existe suffisamment de motifs d'incompréhension entre le rédacteur du bulletin et son lecteur pour faire l'effort de réfléchir, avec lui bien entendu (avec des associations comme la FFME, des représentants du monde du tourisme et d'autres, par exemple au sein du Conseil supérieur de la Météorologie, organisme paritaire justement prévu pour jouer le rôle d'interface entre le public et les spécialistes). J'ai moi-même constaté souvent et avec stupeur des interprétations opposées, optimistes ou pessimistes, du même texte que je trouvais pourtant limpide, selon l'attention à la lecture de l'usager, son niveau de connaissance météo, son humeur...

Pour en revenir à mon "nuageux", j'ai préconisé depuis bien longtemps l'usage systématique des définitions suivantes pour l'état du ciel.

  

Remarques :

.
Les météos, lorsqu'ils font une observation, rassemblent mentalement les nuages dans un coin du ciel. Ils occupent ainsi une fraction de la voûte céleste exprimée en octas (1 octa représentant 1/8 ème du ciel complet). Dans le code international, on utilise les nébulosités de 0 à 8. On distingue la nébulosité partielle qui se rapporte respectivement aux différents étages de nuages présents. La nébulosité totale regroupe l'ensemble des couches.

. Un ciel "clair" est celui dans lequel aucun nuage n'est présent (0/8). Une situation pas du tout fictive. On la trouve, par exemple, fréquemment en automne ou en hiver au-dessus des inversions. Elle peut durer en altitude des jours entiers, voire des semaines entières. Elle signe alors spectaculairement le contraste entre le "grand beau" du climat montagnard et la médiocrité des conditions en plaine, attristée par le couvercle sombre des stratus, l'humidité, le froid pénétrant. De même le ciel "couvert" (8/8) accompagne très souvent, et durablement, ces régimes d'inversions hivernales en basses couches, mais aussi, systématiquement, le mauvais temps actif prolongé (pluie ou neige). On donne d'ailleurs le nom de "corps" à cette partie bien spécifique des perturbations. Ces deux états très caractéristiques méritent amplement qu'on leur attribue une étiquette en propre. Entre ces deux extrêmes, une gamme de cas que l'on peut également parfaitement observer et prévoir.

. Ayant ainsi un ensemble de classes bien codifiées (symétriquement d'ailleurs), on sait dès lors ce que représente sans ambiguïté "nuageux".

. Il est même possible de préciser certains états par une extension circonstancielle. Le jour où, à Chamonix, au début des années 70, j'ai utilisé pour la première fois dans un message l'expression apparemment paradoxale de "beau temps nuageux", j'ai eu droit à des réactions étonnées, voire moqueuses, selon lesquelles je ne prenais pas beaucoup de risques : tout à la fois !... Et quand j'eus expliqué quel type de ciel je voulais ainsi décrire, chacun comprit qu'effectivement ça avait un sens. Imaginons tout simplement, par exemple, un ciel piqueté par 4 à 5/8 de ces petits nuages arrondis, blancs et sympathiques que l'on appelle d'ailleurs "cumulus de beau temps". Avec l'habitude, plus personne ne trouva suspect le "beau  temps nuageux" ; le code était devenu partagé, météo et public parlaient, au moins pour cela, le même langage. C'est possible pour tout.

Cette revendication d'aggiornamento de clarification nécessaire - en réalité un retour aux sources scientifiques - devrait s'appliquer à plein de paramètres, à tous les paramètres. Comment qualifier le vent : faible, modéré, fort ?... Il suffit de respecter des segments de vitesse précis. De même pour déterminer un écart de la température à la moyenne saisonnière. Les critères devraient être les mêmes partout à l'intérieur du service national, donc sur toutes les chaînes TV, à la radio, dans les journaux, sur le web : assez froid, modérément froid, froid, très froid... (pareil pour le chaud, symétriquement). Aucune raison de laisser libre cours à l'appréciation du prévisionniste local, qui fait comme il peut en l'absence de consignes. Ainsi, le Breton en vacances dans l'alpe saura, comme chez lui, ce que représentera comme sensation, éventuellement comme risque, telle ou telle locution.

Pour une meilleure compréhension réciproque, pour une meilleure efficacité en gommant les zones d'ombre, je crois qu'il faut inventer, ou du moins retrouver, un langage météo commun, en France d'abord et pourquoi pas en Europe ensuite.



14) Anomalies.



Les anomalies de température de janvier caractérisent bien le caractère de l'ensemble de l'hiver 2010.

Les "anomalies climatiques" sont des individus qui disposent d'une identité forte (écarts en plus ou en moins aux  valeurs moyennes, quelle que soit la saison, en pression, température, humidité ; avec leur corolaires : nébulosité, vent...). J'en suis persuadé depuis le début des années 90, et n'ai cessé d'en suggérer l'étude dans MF. Je n'ai obtenu que des réponses polies débouchant sur le vide sidéral. Ce type d'études n'était pas à ma portée. Parce que j'étais affecté à un poste de gestion. Parce que, avant tout, je n'ai pas la compétence pour les conduire. Je suis limité à l'observation et l'intuition, à la proposition argumentée en direction de ceux qui manipulent les statistiques avec brio. Et dans notre France, c'est très court, le plus souvent rédhibitoire.

Une anomalie naît, se développe, meurt, tout en se déplaçant, lentement souvent, voire très lentement. Sa durée de vie est de l'ordre du mois, souvent plusieurs, débordant même parfois d'une année sur l'autre. En somme, elles pilotent les "types de temps" et la longueur de leur influence sur des étendues à l'échelle de continents. Comme des poupées russes, les perturbations s'encastrent dans un niveau perturbé supérieur, aux échelles d'espace et de temps ; elles y sont soumises. Prévoir les anomalies, c'est approcher la prévision saisonnière. Une anomalie qui dure entretient durablement un type de temps. Et la persistance excessive est mauvaise conseillère : trop chaud, trop froid, trop sec, trop pluvieux... L'anomalie de 2003 a beaucoup tué en Europe occidentale, à force d'accumuler de la chaleur, en usant les organismes, de nuit comme de jour.

Quoi pilotent ces phénomènes ? Les océans jouent un rôle sans doute déterminant, à l'instar de ce qui se produit pour El Niño ou son pendant La Niña. On peut imaginer qu'une distribution particulière durable des températures de grandes surfaces océaniques, dont la puissance d'influence sur l'atmosphère est gigantesque (échanges de températures mais aussi d'humidité), provoque en conséquence une répartition singulière de ces énormes engrenages que sont les "centres d'actions" (anticyclones et dépressions). L'organisation de ces rouages détermine la "circulation générale" du temps perturbé comme du "beau" temps (plus le beau dure plus il devient un problème, plus il devient "mauvais"). Les anomalies mesurent alors les écarts à la normalité. Ce dernier hiver a connu une inversion persistante du champ de pression habituel : trop fort au niveau de l'Atlantique Nord et de la Scandinavie, trop faible sur l'Europe méridionale et le bassin méditerranéen. D'où la grande fréquence des situations neigeuses, d'où, aussi, des oppositions violentes de températures en liaison avec cette donne insolite (Xynthia).



15) 2+ ou 3- ?


L’été enfui me donne envie de revenir sur le traitement français de la
Vigilance, plus particulièrement celle des orages. Et puis l’automne n’est-il pas aussi, sous une forme différente, un temps particulièrement fort des manifestations orageuses. Les “épisodes cévenols” sont au reste ceux au cours desquels l’orage est souvent le plus étendu et le plus productif, car boosté par l’”effet orographique” (percussion du vent contre les reliefs proches des côtes avec son cortège de soulèvement/condensation/précipitation).
 
C’est une vieille histoire...

Déjà dans les années 80, avec les “BRAM” (bulletins régionaux d’alerte météorologique), procédure mise en place, je crois, suite à la catastrophe de Vaison-la-Romaine à l’automne 1992, l’alerte était bien trop floue et surtout les procédures de distribution trop peu durcies (en l’occurrence l’alerte régionale de Marseille fut excellente). Par définition, elle s’appliquait à une trop vaste entité (on pourrait dire pixel aujourd’hui) : la région météo. Celle du Centre-Est s’étend de l’Auvergne à la frontière italienne et de la Bourgogne à la Haute-Loire). Un directeur de la Sécurité Civile du Nord des Alpes, agacé par cette approximation, a pu me confier un jour : il suffit qu’un orage soit prévu sur le Puy-de-Dôme pour que l’alerte s’applique à nous aussi. Ce n’était même pas caricatural. C’est ainsi que, fréquentant régulièrement un camping de Chamonix en bordure de torrent, j’ai pu recueillir les doléances - peu feutrées du reste, et je le comprends - du responsable qui en avait plus qu’assez de recevoir de la Préfecture des alertes inappropriées. Avec son sens de la météo locale, son professionnalisme qui le laissait en veille des nuits entières, il n’appliquait presque jamais les consignes d’évacuation qu’il aurait dû prendre, sinon c’était la fin de son activité, privé de clients, excédés par des dérangements parfois quotidiens en période orageuse estivale. L’alerte, partie de Météo-France selon une procédure bien trop peu sélective, glissait de bureau en bureau jusqu’aux responsables de terrain : une façon pour l’administration de refiler la patate chaude. En réalité, la procédure normale était dévoyée. Il était prévu que les Sécurités Civiles prennent contact avec leur Centre Départemental Météo (une des raisons fortes de la déconcentration du milieu des années 80 : la proximité avec le terrain et les besoins). Elles ne le faisaient pas toutes. Dans la mesure où Météo-France le savait, c’était - de mon point de vue - de sa responsabilité de rappeler, diplomatiquement, les consignes. Un exemple de laxisme qui pénalise l’usager et notamment les responsables de collectivités.

Il a fallu Lothar et Martin, fin décembre 1999, pour corriger sensiblement le tir. La “Vigilance” est un progrès incontestable. Nécessaire mais non suffisant.

Plusieurs aspects me chagrinent, compte tenu du potentiel technologique bien amélioré depuis 10 ans (efficacité de l’informatique, souplesse et multiplicité des moyens de diffusion de l’informatique :

- Sur le plan sémantique, Vigilance n’est pas assez puissant. Il devrait y avoir au moins deux étapes. D’abord la “mise en Vigilance”, des individus mais surtout de la Sécurité Civile, plusieurs jours à l’avance. La Météo Suisse annonce le niveau de danger prévisible 5 jours à l’avance ! C’est un premier conditionnement préventif. Très utile pour organiser le planning de ses activités. Puis l’”Alerte”, lorsque le danger devient hautement probable, le plus tôt possible, 24h voire 48h à l’avance. Vrai que l’incertitude chronologique et spatiale, l’intensité de la menace varient beaucoup selon les phénomènes : une vague de froid massive est bien plus facile à prévoir plusieurs jours à l’avance que les inconvénients liés à l’instabilité (averses ou orages, en air froid comme en air chaud) ; aléas qui restent le lot de la prévision. Mais nos voisins savent faire, ou du moins poussent le service vers son mieux dans l’état de l’art, pourquoi pas nous ?

- Le domaine d’application de l’alerte. En France, il est départemental. En Suisse, il descend au niveau de l’entité climatologique, liée la plupart du temps au contexte géographique (les épisodes cévenols tapent considérablement plus fort sur les contreforts Sud des Cévennes où le flux méditerranéen est violemment soulevé que sur les plaines côtières). Compte tenu de la résolution des modèles (de l’ordre de 2 km), il serait logique, dans certaines circonstances (notamment à cause de l’incidence de la vitesse du vent en régime instable), de justement découper le département selon ses particularités topographiques. Adaptation d’autant plus pertinente que ce découpage topo-climatique existe depuis... 15 ans dans MF, pour des applications opérationnelles largement validées.

- Graduation des niveaux de risques. Les météos suisses utilisent une échelle à 5 degrés. Je la considère bien plus pertinente. Elle apporte incontestablement de la souplesse pour traiter les situations certes relativement fréquentes mais pourtant susceptibles de provoquer des dommages importants. Les gens concernés se moquent bien des considérations assez technocratiques de “durées de retour” ou de “surface” de la catastrophe ; ils ont de l’eau jusqu’au plafond dans leur salon au rez-de-chaussée, c’est cela qui compte pour eux. [Lors des inondations exceptionnelles de Draguignan, du bassin de l’Argens, en juin 2010, le département fut préventivement placé en Orange ; il méritait le Rouge. C’est un constat. Comme toujours ça n’était pas évident à l’avance. Mais MF a rétorqué aux sinistrés que le Orange était justifié, que l’extension du phénomène n’était pas assez vaste pour annoncer du Rouge. Comme si la surface primait l’intensité, comme si elle avait le pouvoir de muter le Rouge en Jaune. Rejet cynique de la réalité, mépris des victimes]. Et d’abord, pour la mobilisation opérationnelle préventive des services de sécurité, il est primordial qu’ils obtiennent le plus tôt possible une évaluation de la gravité potentielle de la perturbation attendue. On sent bien que les prévisionnistes français sont embarrassés par les critères actuels. Monter en Orange correspond simultanément à une intensité et à une faiblesse de fréquence telles qu’ils hésitent. Alors, fréquemment, ils se replient dans le Jaune, qui devient dès lors un critère inodore et sans saveur. Tellement discret en effet que sur les cartes de Vigilance, le phénomène en cause n’apparaît même pas explicitement. Je répète que je trouve ce comportement détestable, irresponsable. Dès qu’il y a risque, même mineur (mais un orage violent très localisé est majeur pour ceux qui le subissent de plein fouet). un service public doit jouer la transparence. C’est tellement vrai que tous les pays d’Europe qui ont adopté la carte de Vigilance mentionnent très clairement (pictogramme) le météore menaçant.

Voilà pourquoi j’estime qu’il conviendrait de s’aligner sur le protocole suisse, qui prévoit justement ces fréquentes situations embarrassantes où le danger est objectivement “ordinaire” mais cependant éventuellement grave, au moins localement (ce qui d'ailleurs ne signifie pas ponctuellement : cf. les inondations orageuses dans le Var en juin 2010). Ainsi se justifie le titre de cet article : souhait appuyé d’un niveau intermédiaire entre le 2 (Jaune) et le 3 (Orange) actuels. Les Suisses ont adopté le Jaune foncé pour cette classe ambiguë. Je les approuve.

Je termine en signalant un paradoxe. Il demande aussi réflexion et solution. MF reste, en dépit de l’expérience et de la fiabilité et précision croissantes - surprenantes - des modèles, attaché à l’entité départementale comme unité de mise en vigilance. Ce cadre est d’autant plus grossier pour le public qu’en niveau Jaune on ne lui fournit même pas les précisions de chronologie et de localisation que les niveaux Orange et Rouge apportent avec les “bulletins de suivi” (clairement, il apparaît qu’on incite à interroger les répondeurs pour en savoir davantage...). On a vu ci-dessus qu’il est possible de faire une discrimination d’ordre topographique (le relief joue un rôle déterminant pour l’organisation des vents, la répartition des précipitations, et, imparablement, pour la température). Et, dans le même temps, l’opérateur public fait parfois de la “dentelle” en ciblant un seul département tandis que d’autres contigus paraissent tout autant menacés. Le cas vient de se produire avec un épisode cévenol - et il est loin d’être exceptionnel. L’Hérault fut mis en Orange, ce qui était légitime (et vérifié pour le secteur relief), malgré certaines protestations a posteriori des résidents côtiers qui n’ont reçu que des pluies banales, mais pas les autres départements méditerranéens, alors que des pluies intenses - et somme toute prévisibles dans le contexte - se sont abattues sur les Alpes Maritimes, et au-delà le secteur de Gênes où elles furent catastrophiques. Les risques associés à l’instabilité - chaude mais froide aussi - restent tellement aléatoires, malgré la qualité des prévisions numériques, qu’il me paraît imprudent de finasser. Dans la recherche perpétuelle de l’idéal, la logique et l’efficacité justifient, lorsqu’il s’agit de menace, le calage préférentiel sur la partie haute de la fourchette de probabilités que sur sa partie basse : choisir l’excès de précaution (par principe) plutôt que le déficit, le tout, évidemment, dans un esprit de grande rigueur et responsabilité professionnelles (“ouvrir le parapluie” serait faillir). Ce qui me conduit à nouveau à défendre la nécessité du niveau Jaune foncé (2+ ou 3-). En matière de sécurité, tout potentiel vérifié de progrès doit être répercuté rapidement vers l’opérationnel. Il y faut une prise de conscience prolongée par une réflexion. C’était ma contribution.
 

Carte MétéoSuisse-Danger. Mise à jour permanente.


Degré 1
Aucun avertissement

L'évolution du temps est normale pour la saison et sans danger particulier. Des phénomènes significatifs peuvent toutefois survenir localement, même si aucun avertissement n’a été émis.
Degré 2 (vert-pâle)
Danger modéré

Des événements météorlogiques sont attendus qui, bien que potentiellement dangereux, ne sont pas inhabituels pour la saison.
Degré 3 (jaune)
Danger marqué

Un événement météorologique est attendu dont l'intensité, à la limite de la norme pour la saison, est à prendre au sérieux.
Degré 4 (orange)
Fort danger

Un événement météorologique dangereux et d'une intensité inhabituelle pour la saison est attendu.
Degré 5 (rouge)
Très fort danger
Un événement météorologique très dangereux et d'une intensité exceptionnelle est attendu.


16) Approximations fantaisistes... mais pas drôles.


J’ai eu l’occasion, justement dans ma première “humeur”, car cela me tient à cœur, d’évoquer l’opacité de Météo-France en ce qui concerne l’accès aux données observées par son réseau de stations automatiques.

Les circonstances me donnent l’occasion d’”en remettre une couche”.

Récemment, MétéoSuisse a informé ses usagers qu’elle mettait en ligne - gratuitement - l’ensemble de ses stations de mesures sur Google Earth. La nouveauté c’est la mise à disposition sur cette application, car le service suisse a toujours offert les données de son réseau, dont la mise à jour se fait à la cadence de 10’. Lien.

Météo-France fait de même, enfin à beaucoup près... On peut avoir accès depuis peu au réseau des stations météo automatiques françaises sur Géoportail. C’est magnifique ! Oui mais, si on obtient effectivement la liste des stations, leur emplacement, la nature des paramètres mesurés, pour ce qui est des données... il faut passer à la caisse. Lien.

Voilà bien deux conceptions radicalement opposées du service public : une ouverte, l’autre fermée. Je suis prêt à parier que très peu de clients achètent les données des stations françaises. Qu’en conséquence les recettes doivent être dérisoires (je me répète : c’est un service particularisé qui doit se faire payer, pas les données brutes déjà financées par le contribuable). Donc, il serait autrement plus efficace d’adopter la formule suisse. Elle rapporte, à n’en pas douter, une utilisation certainement conséquente, des prises de décision heureuses et protectrices, un surcroît de sympathie envers le service national.

Une conséquence très fâcheuse, voire dangereuse, de ces errements hexagonaux s’affiche spectaculairement quand on veut obtenir des informations via des sites comme The Weather Channel, probablement le portail privé qui distribue le plus d’information météo au monde, qu’on trouve d’office dans les iPod, par exemple.

Si on demande “Chamonix”, on obtient des informations tronquées sur le “temps sensible” (beau, pluie, neige...). Et des valeurs de températures instantanées mesurées absolument farfelues, et en tout cas bien trop froides. J’ai d’abord cru que TWC se rabattait, par défaut de données fournies par Météo-France, au “point de grille” modèle le plus proche et que, compte tenu de l’étroitesse de la vallée, ce point de référence tombait... à très haute altitude. Or, TWC, dans un souci de transparence louable, fournit l’origine de la température (et du temps sensible éventuellement). J’ai découvert avec stupeur que les programmeurs américains avait choisi Le Grand-Saint-Bernard, station du réseau de mesure suisse à... 2472 m ! (1 500 m de dénivellation c’est en routine de l’ordre de 10 °C de différence...).

Depuis Atlanta, ces “subtilités” peuvent échapper, encore qu’il suffit de comparer les altitudes pour comprendre instantanément que l’erreur est grossière.  J’en veux bien davantage à la politique malthusienne et maladroitement commerciale de Météo-France, dont on constate les conséquences néfastes, pour le tourisme notamment (des quantités d’internautes du monde entier s’imaginent que Chamonix subit un climat polaire !). Au reste, le cas n’est pas isolé : Grenoble est rattachée à... Chambéry, ce qui n’est pas trop pénalisant mais tout de même faux. Chez d’autres prestataires de service, j’ai notamment remarqué que Chamrousse reprend les données d’Annecy/Meythet, d’ailleurs positionnée à... 1050 m !

Bien sûr, quel que soit le fournisseur d’information météo, il est bien obligé, pour une multitude de sites, de prendre  la station météo la plus proche comme rattachement. C’est valable si les conditions topographiques sont équivalentes (en plaine), mais ça produit des absurdités si on bascule d’une vallée à l’autre, d’un versant à l’autre ou si on néglige les différences d’altitude. En montagne, une petite distance horizontale entre deux sites correspond fréquemment à des différences climatiques considérables. Cette situation est d’autant plus grotesque qu’il existe à Chamonix même (Bois du Bouchet) et à Grenoble (aérodrome du Versoud) des stations météo automatiques très complètes de Météo-France. Deux cas, non isolés, de localités stratégiques qui, pour des raisons certes sans comparaison, mériteraient mieux et d’abord... vrai.

L’écran suisse affecté au climat

Dans Google Earth, la fiche technique de la SA du Grand Saint-Bernard.

Un premier écran de développement des données récentes observées.

Localisation des SA de l’Isère sur Géoportail ; fiche technique pour celle de Chamrousse.

Données instantanées “observées” à Chamonix, telles que TWC les affiche.

. Pas de “temps sensible” (présence humaine non permanente) ;

. Température bien trop froide ;

. Station d’observation référente : le Grand St.-Bernard !



17) Et le français alors !





Je consulte rarement le site du Centre Européen de Prévision Météorologiques à Moyen Terme (CEPMMT) de Reading en Angleterre ou, en anglais, European Centre for Medium-Range Weather Forecasts (ECMWF).


Rarement, pourquoi ? Parce que le site est en anglais, uniquement en anglais, et que je ne maîtrise pas assez la langue de Shakespeare pour m’y attarder. Parce que les cartes esssentielles du ECMWF sont très très bien adaptées par d’autres sites (Météociel, par exemple).


Je ne comprends vraiment pas pourquoi cet organisme européen ne fait pas l’effort de traduire son site en plusieurs langues. Et notament en français, bien entendu. Pourtant la France est, depuis l’origine, un des plus gros contributeurs financiers. Pourtant, les Français, notamment des chercheurs émérites venus de Météo-France,  y ont toujours tenu des postes de responsabilité importants. Pourtant Jean Labrousse a été un des premiers directeurs, à la fin des années 70 et au début des années 80, avant de devenir directeur de Météo-France , en 1981. Pourtant, depuis plusieurs années, Dominique Marbouty, ex-chef du Centre d’Etudes de la Neige de Grenoble, le dirige à son tour.


Connaissant bien ce dernier, je lui ai suggéré, par e-mail, il y a déjà quelques années, de justement tenir compte des usagers francophones. C’est une question d’équité. C’est aussi une question de principe, puisque la France fut dès l’origine un des gros moteurs de l’Europe, que le français fut tout de même la langue diplomatique durant des siècles.


Alors Pourquoi ce mépris ? Pourquoi les autorités française (et Météo-France notamment, particulièrement influent dans le Centre de Reading) ne font pas pression pour que l’usager français soit pris en considération ?




18) Les prévisions de qui ?


Je suis sans doute un puriste, mais j’avoue que ça m’agace d’entendre le présentateur du JT annoncer les prévisions d’Evelyne Dhéliat (au hasard...). Je n’en veux pas à notre Evelyne nationale, fort glamour par ailleurs, mais à Météo-France qui ne défend même pas ses produits. Oui, ce sont les “prévisions de Météo-France”.

En cette journée du 8 décembre 2010, doit-on dire noire ou blanche ? sur Paris, l’Ile-de-France et davantage, sous cette écharpe conflictuelle, où froid et chaud s’affrontent, il n’aurait pas été anormal (comme tant d’autres fois en situation de crise) qu’un homme de l’art, un porte-parole de MF pour tout dire, viennent commenter l’état des forces en présence sur le champ de bataille atmosphérique.


Et le journaliste d’annoncer : “attention au verglas pour demain matin.” Mais le regel de la neige mouillée, des surfaces humides est déjà en cours ce soir. La bise souffle, se renforce, malgré le ciel chargé... la température baisse. Aucune chance pour qu’elle remonte avant les heures moins froides de demain, si le Soleil fait un effort. Les régions humides sont en train de devenir une gigantesque patinoire. Les sinistrés sur les routes pourraient bien y passer la nuit...


© / AFP (site du Figaro)


Le risque sérieux, étendu, mériterait vraisemblablement plus qu’une “”Vigilance Jaune” opaque. Souvenons-nous du 4 janvier 2003... Une “analogue”, tout simplement.


NB :

22h42 locales. Au JT de F3, enfin une “Vigilance Orange Verglas” sur l’IDF, et encore, une ½ IDF. Dentelle... Et précipitation, car pas encore sur le site “Veilleurs du Temps” à ce moment-là.

Jamais vue cette Vigilance, communiquée par le JT de F3 de 22h30, sur le site officiel de MF dans les heures qui ont suivi. Sacré caffouillage !...


© / Abaca (site du Point)




19) Anomalie quand tu nous tiens.



Aucune mauvaise ni bonne humeur dans les propos qui suivent, simplement des interrogations, et des hypothèses.

En pleine fièvre planétaire (l’année s’annonce à nouveau comme des toutes plus chaudes depuis longtemps), la France et avec elle, plus généralement, une grande partie de l’Europe grelote.


Paradoxe ? Oui et non. Le peloton peut améliorer la moyenne record des concurrents pris dans leur ensemble, tandis que des attardés ont toutes les peines du monde à finir l’étape. Difficile à expliquer au grand public confronté aux assauts du gel et de la neige, mais c’est ainsi. Il est même à peu près sûr que c’est parce que le thermomètre global s’excite que des phénomènes de compensation se mettent en place, avec excès, comme il se doit dans ce contexte de dérégulation.


Je peux dire que je craignais ce scénario d’hiver comparable à celui de 2009/2010. Bien sûr, une vague de froid ne fait pas l’hiver, mais plusieurs si. Et d’autres se profilent, derrière le puissant redoux en cours qui participe des caprices étranges de l’atmosphère depuis nombre d’années. Un caprice, c’est normal, deux aussi, trois encore, mais quand ils se multiplient, il convient de s’en étonner, voire s’alarmer.


Déjà, au début de 91, j’avais eu l’occasion d’écrire que “désormais l'atmosphère a du caractère” (ce qui sous-entend souvent mauvais caractère). Dès le début de la décennie précédente, la température que je suivais à Grenoble avait singulièrement redressé la pente. Je répercutais mon étonnement dans des communiqués aux médias, sans aucunement en donner la raison. Constat, simplement. Incapable d’aller au-delà, d’expliquer la cause première. Certains, pourtant “autorisés” (comme ceux de Coluche), répliquaient : c’est à cause de l’urbanisation. Pour tous les glaciers qui prenaient des claques aussi sans doute !... Dans mon milieu professionnel c’était le scepticisme. J’avais noté, indice ou hasard, que le El Nino 82/83 avait été le plus puissant de ceux connus. En 1983, un foehn exceptionnel avait ravagé la vallée de Chamonix, mais aussi les noyers du Bas-Grésivaudan. En décembre 90, le préfet de l’Isère avait dû déclencher le plan ORSEC suite à des chutes de neige de l’ordre du mètre sur le Bas-Dauphiné (Bourgoin, La Tour-du-Pin...). Quelques mois plus tôt, en février, une situation exceptionnellement perturbée avait multiplié les avalanches sur le nord des Alpes et favorisé des inondations inhabituelles (Rhône). Depuis on a accumulé, seulement en France, Lothar et Martin, Klaus, Xynthia, autant de tempêtes exceptionnelles qui virent au banal. Dans le monde, c’est pareil : de Hugo à Katrina pour les cyclones, ou pour tant d’inondations, sécheresses, canicules, excès de toute nature.


Évènements ponctuels, à l’échelle de la Terre. Évènements éphémères, à l’échelle climatologique. Mais éruptions pourquoi pas pilotées, pour un certain nombre d’entre elles, par une entité supérieure.


Je m’explique.


Je crois aux “anomalies” emboîtées, de différentes classes, de temps, d’espace. Toutes interdépendantes.


C’est ainsi que j’ai remarqué que, de mémoire, l’Europe de l’Est, le Moyen Orient subirent deux ou trois ans de suite des hivers d’une très grande rigueur, tandis que l’Ouest de l’Europe baignait dans une douceur et un beau temps quasi printaniers. Puis, il y a 2 ans de cela, la froidure gagna du terrain, affecta d’abord l’extrême Sud-Est de notre pays. L’hiver dernier le froid acheva d’envahir nos contrées. Il se manifeste à nouveau cet hiver, dans une configuration similaire, pulsé par des pressions à nouveau trop hautes sur le Nord de l’Atlantique. Au reste, il n’y eut pas de rupture dans cette configuration durant l’été, marqué par la canicule sur la Russie, une relative fraîcheur sur l’Europe de l’Ouest. Une “anomalie” supérieure pilote notre anomalie. Cette entité maîtresse impose son tempo, sa distribution des phénomènes, ignorant nos calendriers. Elle peut durer. Elle s’effondrera un jour, brutalement éventuellement, parvenue au point de rupture de son emprise. A l’instar de certains empires installés pour mille ans, soudain déstabilisés par des révoltes apparemment anodines. Mais le temps était venu, le tissu usé jusqu’à la trame.


...


Les lignes précédentes furent écrites en tout début décembre 2010, en fin de la première vague de froid. Comme je le pressentais, il s’en est accumulé d’autres, sévères, du moins dans leurs conséquences : pagaille en Ile-de-France notamment, par excès de neige, et surtout regel des bouillies de glace brassées par la multitude de véhicules. Regel du 8 décembre, très mal annoncé d’ailleurs, malgré le précédent équivalent, et récent, du 4 janvier 2003. Comme quoi l’utilisation des analogues, que j’ai tant réclamée, aurait pu “rafraîchir” les mémoires humaines décidément très volatiles. Je n’accable pas l’Etat : on ne gère bien que ce qui est habituel. C’est vrai pour chacun de nous. L’indiscipline des routiers, des individus, de moi-même à l’occasion, a aussi une bonne part de responsabilité.


Et depuis sont tombées, outre des quantités de neige insolites sur les plaines d’Europe Occidentale, de nouvelles hypothèses, dont une me paraît fort pertinente.


Mais auparavant, je voudrais mettre l’accent sur cette anomalie qui persiste, qu’on résume par un index rustique, mais très pratique : NAO (North Atlantique Oscillation). Cet indice représente tout simplement la différence de pression sol entre les Açores et le Groenland. En temps “normal” il est positif (pression plus haute aux Açores, archipel célèbre justement par son fameux anticyclone, que celle des 60èmes). Eh bien, depuis plus d’un an, la NAO est... négative. A savoir qu’on subit une inversion du champ de pression caractérisée par de trop fortes valeurs sur les contrées boréales, et des trop faibles plus au sud. En conséquence, la route est tracée pour de multiples coulées froides qui nous arrivent cycliquement via la Scandinavie.




Dans une précédente “humeur” (cf. 14), j’avais indiqué combien je crois à l’influence calorique des océans. Justement, le professeur Vladimir Petoukhov de l’Institut de recherche climatologique de Potsdam considère, après simulations numériques, que la fonte accélérée de la banquise de l’Arctique déstabilise les échanges entre la mer, de Barents notamment, et l’atmosphère. De considérables surfaces marines ne sont plus isolées des couches d’air qui les survolent par une épaisse couche de glace, en conséquence des flux de chaleur et d’humidité (de la chaleur encore, “latente”), nouveaux autant qu’énormes, modifient l’équilibre climatique traditionnel de ces régions. Ce qui, évidemment, par effet domino, se répercute très loin de la zone concernée. Il suppose, dans l’attente d’une démonstration plus complète, que l’anomalie positive de pression, mise spectaculairement en évidence sur les graphiques ci-dessus, pourrait bien provenir de cette nouvelle donne. Dans ce cas-là, on peut se faire du souci : le réchauffement global annoncé nous dispenserait durablement une recrudescence d’hivers anormalement froids sur l’Europe de l’Ouest (dans le même temps, vases communiquants, la Bulgarie bat des records de chaleur en cette fin décembre !).



Pas certain que cette explication soit la bonne, même si, évidemment il faut la prendre très au sérieux, car tout s’enchaîne et le déséquilibre des régions arctiques ne peut être neutre, même si je n’ai aucune compétence pour la valider ou l’infirmer. Mais des anomalies durables, transannuelles, ont déjà existé par le passé, sans ce retrait incontestable de la banquise (exemple un tir groupé d’hivers assez froids de 1985 à 1987, tels qu’on peut les détecter sur les courbes de Météo-France, mises à disposition par Dominique Schueller, sur son excellent site, hélas laissé en jachère depuis qu’il a quitté l’Isère pour exercer ses talents à la Réunion). On se souvient aussi que cette anomalie n’a pas faibli durant l’été puisque l’Europe occidentale a été soumise à une relative fraîcheur, tandis que l’Europe orientale et les bassins méditerranéens central et oriental étaient accablés par la chaleur, et que cela fait plusieurs années que le phénomène se renouvelle, plus ou moins intense. A l’heure qu’il est la NOAA annonce pour le printemps la fin de la période fraîche pour nous (en tout cas elle l’a bien anticipée depuis l’automne 2009, je trouve), la NAO devrait, en synchronisation, retrouver des valeurs plus conformes. Acceptons en l’augure, car on voit bien que ces dérèglements, surtout quand ils s’installent, chamboulent nos habitudes, notre économie, sont très logiquement surdimensionnés par rapport à nos infrastructures tempérées, provoquent donc bien des inconvénients pour nos sociétés vulnérables.





20) Restructuration MF : les stations alpines tirent leur épingle du jeu.
Le 17 janvier 2011.

Il a couru tant de rumeurs fausses, hélas trop souvent colportées par certains agents de Météo-France, qui n’avaient pas la légitimité pour le faire, et qui n’avaient pas le droit de distribuer à tous les micros ou caméras leurs idées personnelles, que, disposant aujourd’hui d’un document sérieux sur le sujet, je tiens à le mettre en ligne. Il fut un temps, pas si lointain, où ces entorses au “devoir de réserve” et à la plus élémentaire honnêteté auraient été sévèrement sanctionnées.

Voici donc un document que l’on peut considérer comme officiel, extrait d’un article récent du Figaro.

On y découvre qu’à l’horizon 2017, terme du plan en cours de réorganisation du réseau météo de l’opérateur public, le nord des Alpes s’en sort très bien, ce qui est tout à fait logique. A cause de la complexité géographique, donc climatique, à cause aussi du dynamisme touristique et économique de cette région.

Seul le Centre Départemental de Savoie, Chambéry/Aix, disparaît, ce département conservant Bourg-St.-Maurice.

Les Alpes-du-Sud gardent le Centre Départemental des Hautes-Alpes, Briançon, mais perdent St.-Auban-sur-Durance, Centre Départemental des Alpes de Haute-Provence et station spécialisée de longue date dans l’assistance au vol à voile (base du SFA, service de la formation aéronautique).

Si j’ai bien compris, Grenoble devrait retrouver le rôle qu’elle n’aurait jamais dû perdre de pôle musclé, pour au moins le nord des Alpes. Naguère, la capitale des Alpes disposait fort logiquement d’une compétence prévisionnelle pour Dauphiné/Savoies (74, 73, 38, 05, 26). En 1979, la direction a souhaité ma mutation de Chamonix à Grenoble avec l’intention de créer la “grande station des Alpes”. 1981 et la “départementalisation” en ont décidé autrement... Dans une copieuse contribution interne à un débat national sur la prévision, j’ai, en 1996, préconisé cette articulation. La météo de montagne réclame une présence horaire plus grande - pourquoi pas un système d’astreinte dans les situations délicates, prévisibles désormais ? - que celle actuellement assurée par les Centres départementaux, dont les 1ers bulletins ne sont disponibles au mieux qu’à 7h30, et qui ferment vers 17h30/18h. Des évènements difficiles à prévoir, comme les orages nocturnes, méritent des alertes spécifiques (actualisation des répondeurs pourquoi pas en pleine nuit, SMS, comme le fait si pertinemment la météo suisse). Si la réorganisation est conduite avec cette ambition, avec le souci de bien répondre aux besoins très spécifiques des “usagers-montagne”, les Alpes devraient y gagner. En ce début d’année, je ne peux que le souhaiter. J’ajoute un autre voeu, cette fois pour le temps courant : que chaque centre restant participe activement à la collecte d’observations complètes (temps sensible : pluie, neige, orage...) et que, comme en Suisse, encore, les données des stations de mesures automatiques soient continuellement, et gratuitement, fournies en ligne. L’évolution annoncée devrait être l’occasion d’une réflexion approfondie et d’une rupture positive.

NB :

Une information lue ce matin explique que des Centres interdépartementaux vont être créés (donc Grenoble sans doute). Qu’ils seront notamment chargés de prévision conseil”, par abonnement. Une prévision sur mesure, en relation directe avec le client, à l’instar de ce que pratique Météo Suisse depuis des années (et nombre de prestataires privés). Une forme d’assistance pour le moment un peu déconsidérée par les prévisionnistes officiels (si j’en crois les réactions des uns et des autres...). Et pourtant, hormis l’aspect coût dont je ne veux pas parler ici, l’engagement personnel que suppose, qu’impose ce mode de relation doit logiquement aboutir à un progrès du prévisionniste tenu à une sorte d’”obligation de résultat”, au moins moralement. D’ailleurs, rien de nouveau sous notre Soleil : durant de longues années les météos recevaient des pilotes pour fournir des “protections de vol” ; j’ai moi-même pratiqué ces échanges directs (visites ou téléphone) tout le temps que j’ai exercé à Chamonix. Outre l’aspect “aiguillon”, la relation humaine en “face à face” est mutuellement enrichissante. Mais exigeante !...




21) Un va-et-vient qui fait du bien
.
Le 30 janvier 2011


Titre joyeux pour ce qui pourrait être une plutôt bonne nouvelle pour
Chamonix. Je l’avais proposé pour la chronique d’un magazine. Il a un peu effrayé, l’image et le contenu, alors que la protestation battait son plein et le pavé.


On sait combien les Chamoniards se sont mobilisés contre la réouverture du tunnel du Mont-Blanc après le tragique incendie de fin mars 1999. Leur crainte : voir revenir la pollution après la pause de remise en état, et surtout la voir s’accroître au rythme de la croissance de la circulation des poids lourds.


Ce que j’explique ci-après ne résulte pas de mesures. Il ne s’agit que d’hypothèses, d’une réflexion qualitative, à partir des mouvements ordinaires de l’atmosphère.


Les brises :

La Nature, ayant horreur du vide mais aussi des “têtes qui dépassent”, s’arrange pour niveler. Ainsi, l’érosion, patiente, transforme une montagne en plaine en quelques centaines de millions d’années. Les différences de températures atmosphériques se traduisent en inégalités de densité : mis en concurrence dans un espace commun, l’air froid plus lourd tombe tandis que l’air chaud plus léger monte.


En conséquence, et sans entrer dans les détails, la présence ou non du soleil, modulée par les saisons, se répercute en brises spécifiques au relief.

- En hiver, les brises amont (air lourd descendant) sont largement prépondérantes ;

- En été, les brises aval (air léger montant) l’emportent. 

            

Brises de nuit (amont) et brise de jour (aval) - Croquis de Dominique Schueller.

Les glaciers interviennent dans ces échanges puisque, à leur contact, ils provoquent des refroidissements d’air complémentaires.


Brise de glacier - Croquis de Dominique Schueller

Ainsi, très schématiquement, la vallée de Chamonix est soumise à des courants descendants en hiver, ascendants en été. Les premiers évacuent le froid formé sur les pentes vers le bassin inférieur de l’Arve... et avec lui les pollutions. Les seconds transportent les excédents relatifs de chaleur vers les cimes, où ils sont ensuite récupérés, puis éloignés, par les grands flux d’altitude. Avec eux montent et s’échappent l’humidité (nuages éventuels) et les impuretés, naturelles ou non.


Circulation schématique des brises amont dans la vallée de Chamonix (carte Google)

Le tunnel du Mont-Blanc  et sa rampe d’accès se situant en aval de la ville de Chamonix, on peut donc penser qu’en hiver (et plus généralement au cours des nuits, quelle que soit la saison) les coulées froides évacuent les rejets des pots-d’échappements, comme ceux des cheminées domestiques, vers le bassin de Sallanches, puis au-delà vers le Rhône (l’air alourdi coulant selon la pente comme un liquide).


Cette hypothèse semble vérifiée par les mesures des organismes patentés en suivi des pollutions, comme le PO.V.A (http://www.transalpair.eu/POVA/). J’en ai extrait la phrase suivante qui se rapporte vraisemblablement au bilan des contrôles réalisés dans Chamonix-même d’une part, à proximité de l’Autoroute Blanche d’autre part :


"...les données acquises aux sites de référence de l’AIR APS (en milieux urbains) et considérées sur un temps court (heure ou jour) ne mettent pas en avant de façon nette des changements directement liés à la fermeture puis aux phases de réouverture du Tunnel du Mont Blanc. Ces changements sont par contre très perceptibles pour les sites influencés en bord de route."


Comme on peut s’en douter, en bord de route le niveau de pollution est strictement liée à l’intensité la circulation. Par contre, surprise relative, Chamonix paraît, pour l’essentiel, soustraite aux influences nocives.


Si ce constat est confirmé, la “marée” des brises journalières et saisonnières jouerait donc bien un rôle bénéfique pour la capitale de l’alpinisme. Mais le tableau n’est probablement pas aussi propre pour... ceux qui vivent en aval.


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Extrait d'un article concernant la pollution dans une situation hivernale stable, caractérisée par un anticyclone qui emprisonne humidité et pollution sous une forte inversion de température (base de l'inversion vers 1400 m le  29/01 à 0000. TU à Payerne).
Si la basse vallée de l'Arve fait l'objet d'un arrêté préfectoral de modération de la vitesse des véhicules, la vallée de Chamonix n'est pas citée. Ce qui semble accréditer, au moins dans ce type de configuration - fréquente en saison froide -, la pertinence des remarques ci-dessus.


Dauphiné Libéré du 29 janvier 2011

"Le niveau d’alerte à la pollution aux particules fines est activé sur l’agglomération Cluses-Sallanches jusqu’à 16h.

La préfécture a publié un arrêté statuant que “la vitesse maximum autorisée sur l’ensemble du réseau routier et autoroutier de l’agglomération Sallanches-Cluses est réduite de 20 km/h par rapport à la vitesse maximale autorisée si cette dernière est supérieure à 70 km/h”.
...."





22) Plaidoyer pour un 4ème degré et la transparence.

02 février 2011


Chandeleur
, aujourd’hui. Non, l’hiver ne reprend pas vigueur. Bien au contraire les prévisions sont optimistes, du moins pour les températures...

Il fait relativement froid depuis plusieurs jours, surtout parce que un anticyclone tenace scotche de la grisaille dans les basses couches. Le redoux se prépare. Il a envoyé un premier émissaire, une perturbation qui fait la trace. Faible, elle  ne produit que de la bruine. Oui, mais une bruine dense qui verglace les sols froids, là où elle tombe.



Le 2 février, à 9h40 loc., une vaste zone soumise au verglas s’étire de la Gironde à la Belgique (Meteociel.fr)

Ce même jour, Vigilance Jaune, datant de 6h loc. (Meteofrance.com)

Mon propos n’est pas de critiquer la prévision, de prétendre avoir prévu l’ampleur du phénomène. Même si c’était vrai, il serait indécent de l’annoncer... après. C’est une opportunité pour revenir sur des remarques que j’ai déjà faites en m’appuyant sur cet exemple concret.


“Soyez vigilants si vous pratiquez des activités sensibles au risque météo...” recommande la Vigilance Jaune. Marcher, rouler entrent bien dans cette catégorie, si on joue sur les mots. De toute évidence le niveau de risque était d’un autre ordre. Fallait-il utiliser le Orange, comme l’ont fait Hollandais et Belges dans la nuit précédente, pour le même aléa ? Possible, vu l’étendue de la surface verglacée. Et l’on se rend compte, à ce propos, que le risque n’est pas strictement lié à l’intensité du phénomène météo, mais à ses conséquences : 1 mm de verglas généralisé est bien pire que 10 cm de neige fondante.


Je persiste à considérer qu’il est indispensable d’ajouter, comme en Suisse, un “4ème risque”, qui pourrait donc correspondre à ces circonstances ambiguës, où pas grand chose dans l’atmosphère correspond à un vrai danger sur le terrain. En occurrence, on se rend bien compte qu’il est parfois illusoire, même avec les outils modernes les plus performants, de vouloir précisément prévoir le phénomène lui-même (pareil pour le brouillard, les orages, neige ou pluie...). C’est un risque que l’on annonce, une potentialité. Hier soir, la situation contenait un risque de difficultés de circulation pédestre et automobile. La météo Suisse utilise fort opportunément un Jaune foncé. Réserver le Jaune aux phénomènes limités dans le temps et l’espace (orages locaux, p.ex.) et utiliser le Jaune foncé pour ceux qui sont d’une grande extension (comme ce verglas d’aujourd’hui) me paraît de nature à mieux cerner la réalité des situations à risques.


Un risque suffisamment sérieux pour que chacun en soit informé par tous les moyens accessibles au moindre coût. Hors, que ce soit à la TV ou par Internet, le Jaune n’est accompagné d’aucune précision sur la nature du phénomène attendu, comme c’est le cas partout ailleurs en Europe (pictos explicites). Pour le savoir, appeler votre répondeur habituel (1,35 € TTC de connexion par appel + 0,34 € TTC/mn)... J’insiste lourdement : il n’est pas normal qu’un service public chargé de la sécurité météo des personnes et des biens ne soit pas parfaitement transparent dès le moindre risque. La déontologie ne peut s’autoriser ces déviances. En tout cas, chacun l’aura compris, cette attitude me consterne, me choque (et les autres Européens valident mon irritation).


NB : En cours de journée, alors que je terminais cette réflexion, la
Vigilance Jaune opaque virait à l’Orange sur le Nord-Est.



23) Oui, c'est possible !
11 février 2011

Depuis le milieu des années 80 et la départementalisation, le premier bulletin de prévision est préparé pour 7h30. Le prévisionniste prend son service à 5h45, de façon à réaliser et transmettre en code OMM à Toulouse une première observation synoptique complète pour le “réseau” de 6h (0500 Tu en heure d’hiver, 0400 TU en heure d’été). Ces observations rassemblent des mesures objectives par station automatique et des  évaluations humaines de l’état du ciel (nébulosité, nature et niveau des nuages), du temps sensible (brouillard, pluie, neige, averse, orage...), de la visibilité.

L’observation achevée, c’est donc 1h30 qui est consacrée à la préparation du premier bulletin de prévision. Un bulletin particulièrement important, attendu par beaucoup (radios locales, professionnels, agriculteurs, particuliers, pratiquants des diverses activités de montagne, qui, souvent, réclament un départ précoce...). Il corrige éventuellement les décalages, bien naturels, entre les prévisions de la veille, distribuées par le répondeur depuis 17h30 ou 18h, selon les centres, et la réalité telle qu’elle se présente plus de 12h plus tard.

Je suis convaincu que ce laps de temps de 1h30 pour fabriquer cette prévision initiale peut être réduit à... 1/2h, sans perte de qualité, évidemment. J’ai exposé cette opinion et mes arguments quand j’étais encore en activité, sans plus de succès que pour bien d’autres idées. La routine a force de loi...

Je sais que des prévisionnistes amateurs, autodidactes, tiennent ce délai, pour des bulletins qui sont loin d’être ridicules. Ces gens-là exercent fréquemment des activités professionnelles qui leur imposent de pousser les feux.

 Alors, comment faire ?

- Imprégnation préalable :

Un prévisionniste n’arrive pas à la station sans avoir déjà une idée de la “situation générale”, du contexte “synoptique”. Comment ? Parce que, fréquemment, il a travaillé la veille. Par la TV, comme tout le monde. Et si, exceptionnellement (retour de vacances, p.ex.), il n’a pu regarder le JT du soir, il a la possibilité de se remettre dans le circuit par Internet, où l’on trouve tout ce qui est utile (quitte même à ce que Météo-France fabrique un programme protégé, dédié à cet usage). J’entends déjà certains hurler : les week-ends, les vacances sont sacrées ! Alors, que Météo-France accorde un crédit de temps spécifique, si la qualité est à ce prix (modique). Car la qualité c’est aussi la rapidité, la mise à disposition de l’information au meilleur moment du point de vue de l’usager/client. Je suis persuadé que quantité d’amateurs passionnés sont, en continu, imprégnés du contexte général (Europe/Atlantique) ; c’est tout de même bien à la portée des pros... Voilà bientôt 30 ans, j’avais initié un sondage par l’intermédiaire d’un mensuel montagne bien connu. A la question : à quelle heure souhaiteriez-vous le 1er bulletin ? le point moyen des réponses était très significativement 6h. Dans l’organisation actuelle (en voie d’évolution), cette heure-là n’est pas réaliste, mais 6h30 oui.

- Segmentation :

C’est à dire une architecture modulaire du message. Cette idée a été proposée, en 1994 ou 1995, par M. Jean-Pierre Beysson, alors P-DG de Météo-France. C’était un Énarque, il avait bien compris comment améliorer le fonctionnement de la chaîne de production. J’avais soutenu publiquement la formule en réunion, ce qui m’avait valu d’être qualifié d’”opportuniste” par mon directeur de Région, croyant, bien à tort, que je demandais à mes équipes de faire le contraire de ce que j’approuvais ostensiblement devant le patron. Le principe est celui de la subsidiarité : chaque échelon (national, régional, départemental) prépare la partie du bulletin pour laquelle il est le plus qualifié, reprenant à son compte ce qui a été déjà mis en forme par les échelons supérieurs. Le niveau national (Toulouse) travaille sur les grandes lignes, le niveau régional (Lyon pour le Nord des Alpes) affine, le niveau départemental fignole, “fait de la dentelle”, fort de sa proximité de terrain. Mais, on ne peaufine le détail que pour les courtes échéances, car au-delà c’est perdre son temps. Le schéma d’élaboration qui résultait de cette très bonne conception était le suivant : le département s’appliquait à préciser le segment des 24/36h à venir, reprenant sans rien modifier ou quasiment (ex : envisager du foehn si les vents tournent au sud dans les jours à venir) les segments préparés par Toulouse et en aval la prévision régionale.

- Pas de cohérence sans discipline :

Ce n’est toujours pas selon la “formule Beysson” que travaillent les départements. Ce qui est d’autant plus surprenant qu’au début des années 2000 une démarche Qualité a abouti à l’obtention d’un label de certification Iso 9001. En fait, les prévisionnistes reprennent le travail à 0, perdant beaucoup de temps à décortiquer les cartes jusqu’à l’échéance des 7 jours. Travail inutile, puisqu’il a déjà été fait par deux niveaux en amont. Doublement inutile parce qu’il aboutit, de toute façon, à adopter la seule solution qui vaille... celle de l’ordinateur (et si ce n’est pas le cas, c’est grave, car c’est la porte ouverte à l’incohérence, à la “solution perso”, éventuellement différente à chaque fois qu’on traverse une limite départementale : l’ordinateur prévoit un type de temps, sa chronologie, personne, aujourd’hui, n’est plus capable de l’infirmer). Prétendre critiquer le modèle au niveau du département est complètement absurde : le niveau national transcrit dans ses “directives techniques” la synthèse de son examen critique du modèle, fixant ainsi pour l’ensemble des services décentralisés le “scénario synoptique (il y a même une locution officielle pour la qualifier : “Trajectoire Synoptique de Référence” ou TSR); il faut l’appliquer sans discuter. Ça s’appelle discipline, ça s’appelle optimiser.

- Dans l’urgence le réflexe affûté est capital :

Le prévisionniste départemental devrait donc se focaliser, en arrivant le matin, sur le temps pour les 24h à venir et pas plus, seul créneau où il peut, à la rigueur, mais de moins en moins vu la montée en puissance rapide des performances numériques, moduler la solution du modèle, éventuellement un peu bougée par Toulouse. Et sur ce délai de 24h, il doit - s’il s’est donc mis dans l’ambiance avant même d’entamer sa vacation - fonctionner par réflexe. C’est cela l’expérience. On doit savoir au bout de 2,3 ans au même endroit (et les anciens sont là pour transmettre les “ficelles”, réduire de beaucoup ce délai) comment les vallées et massifs du département réagissent à tel ou tel type de temps. Au reste, l’ordinateur prévoit excellemment la qualité et le tempo du contexte (beau, mauvais, orageux, pluie ou neige selon l’altitude...), et même de plus en plus le détail (températures, vents selon les sites, les niveaux, les accidents du relief...). En somme, il ne reste plus guère qu’à rédiger, à jouer le rôle d’une interface médiatrice entre le high-tech et le profane, à traduire le langage technique des cartes en langage courant.

- Forme light :

Les maîtres mots étant rapidité et efficacité, il est évident qu’il faut rédiger autrement qu’à l’habitude. Commencer par dégager la “Situation générale et Evolution”.  Quand j’ai proposé cela, certains m’ont rétorqué : c’est indispensable. Certes la description du contexte (mise en perspective des centres d’actions, des perturbations et conséquences induites par leurs déplacements) est utile, pour plein de raisons. J’en suis tellement persuadé que je suis  l’origine de ce paragraphe dans les bulletins alpins, en imitant l’architecture des prévisions suisses des années 60, en le défendant contre ma direction régionale qui le considérait superflu.  Et puis on cible l’essentiel, sans s’encombrer de périphrases, sans doute sympathiques à d’autres moments (et encore, la question se pose...). J’ai toujours promu les pictogrammes, ce qui amusait, au mieux (trop réducteurs, disait-on)... Ils sont devenus incontournables. Pour ce premier bulletin il faut utiliser en somme des “pictos textuels”, gagner du temps, tout en disant autant. Et pourquoi ne pas réinsérer, au répondeur comme sur Internet, si l’usager s’en déclare majoritairement frustré (ce serait étonnant d’ailleurs...), cette “Situation générale”, un peu plus tard, quand l’urgent a été traité ?

Voilà pourquoi, je considère qu’il est possible, en rationalisant le travail, de gagner 1h sur la rédaction du bulletin matinal. C’est tellement vrai que je l’ai fait, il y a 40 ans, durant les étés de 1969 à 1974. Que mon adjoint l’a fait tout aussi bien de fin 1974 à 1977, 3 années où nous avons tourné à 2. A la prise de service, il fallait d’abord découper plusieurs mètres de cartes crachés par le fac-similé durant la nuit. Il fallait ensuite vite les préparer ces cartes (tracer, colorier), les analyser, puis faire une vraie prévision, tout au début sans la prothèse du modèle, en s’en méfiant ensuite, enfin rédiger le message (certes pour 48h seulement à l’époque). Nous y arrivions chaque jour en... 1/2h !

Oui, c’est possible !


Météo-France - Contour 500 hPa du 25 janvier 2006


24 mars 2011
24) L’instabilité est dans la Com


Hier soir, j’entends annoncer au
JT un fort risque d’avalanches sur les Alpes, surtout le long de la frontière italienne. C’est tout, le bulletin météo continue...

Je précise d’entrée que je n’ai jamais été qu’un skieur très moyen, que ma connaissance de l’avalanche est essentiellement théorique.

Ces précautions posées, je reviens à mon propos. Donc, hier soir, Vigilance Jaune sur l’ensemble du Nord des Alpes, les Hautes-Alpes et les Alpes-de-Haute-Provence. Conjointement, le présentateur - lui n’est pas en cause, il est bon, ils sont bons - annonce un “fort risque d’avalanche ; risque 4”.

Holà ! Fort risque ! Voilà qui dans le contexte de psychose actuelle (le “nuage”, la guerre...) peut déclencher une certaine nervosité, un compréhensible réflexe de crainte dans les départements concernés, et surtout chez les touristes, la plupart du temps non au fait de ces choses-là, ce qui est bien normal. Serons-nous enfouis dans notre voiture en circulant ? Notre chalet va-t-il être balayé en pleine nuit (les fantasmes empirent toujours le danger...) ? Interrogations légitimes, puisqu’aucune précision n’est fournie par la TV.

Pour tous ceux qui vivent en montagne, résidents ou passagers, pour les skieurs, il me semble que le Service public doit une information totale et  transparente pour tous.

J’ai examiné les bulletins des divers départements ; je n’y ai pas vu beaucoup de cohérence. Passons, je ne suis pas vraiment en situation de juger. Par contre, plusieurs points m’interpellent :

- Pourquoi 4 en Savoie (le long de la frontière italienne) et pourquoi 3 dans les secteurs proches de l’Italie des Hautes-Alpes et de l’Ubaye ? Les conditions de fort enneigement récent par Lombarde furent les mêmes ici et là et même nettement supérieures dans les Hautes Alpes, à la lecture des messages.

- Pourquoi la même Vigi Jaune pour tous les départements concernés, alors que le risque ne dépasse pas 3 en Haute-Savoie, Hautes-Alpes, Ubaye et Isère, alors qu’il monte à 4 en Savoie ?

- Pourquoi afficher en couleur identique des départements entiers, alors que seule une frange frontière est concernée, et très concernée ? Nos amis suisses descendent, eux, à une échelle de l’ordre de celle la commune ?

- Pourquoi, comme il se doit chez nous, et seulement chez nous - hélas ! -, la carte de Vigilance est muette si on clique sur la Savoie ou, tout de même, le risque est de 4, fort dangereux pour le hors-piste ?

- Qui sait, dans le grand public, que les bulletins nivologiques de Météo-France sont gratuits et précisent ces choses-là, massif par massif ? Mais la formulation y est plutôt obscure pour qui n’est pas un familier de la nivologie. En cas de risque avéré, le citoyen n’a pas à aller à la pêche à l’info, c’est la puissance publique qui doit la lui délivrer.

4”, ça n’est pas neutre... pour les skieurs. 4, ça veut dire beaucoup de “plaques” (à cause des grosses quantités de neige froide récente, soufflée, transportée par de forts vents d’est - Lombarde) potentiellement susceptibles de céder, d’exploser et basculer dans la pente au passage d’un ou plusieurs skieurs en les entraînant. Et ce piège-là est sans doute le plus grave pour eux, par beau temps (les risques supérieurs correspondant à un mauvais temps généralisé qui dissuade les sorties). Par ailleurs, pour Monsieur Tout-le-Monde, “aucun” risque, a priori, de se retrouver enseveli en circulant ou dans son habitat (sinon le niveau de l’échelle serait à 5).

Il me semble vraiment que ces précisions méritent plus qu’une communication floue à la Télé, opaque ou tortueuse sur le site de Météo-France.

© Schémas de Dominique Schueller - in "Petit manuel de météo montagne" (Glénat)




25 août 2011

25 ) Google Maps chahute la météo


Google
vient d’annoncer à grand renfort de news son entrée en force en météo. Dans Google Maps, plus précisément. C’était déjà fait (et très bien) depuis les années récentes dans Google Earth. Personnellement, je m’en réjouis. Ma première “humeur” n’est-elle pas “Libérez l’Observation !” ? Quel symbole !...

Bien sûr, j’ai de suite consulté la nouvelle formule. Pour le moment, je suis perplexe. Mais, c’est tout récent ; je ne prétends pas avoir fait le tour du sujet, il s’en faut.

Mes reproches d’emblée :

- Assez difficile de savoir à quel instant précis correspond l’information affichée. C’est vrai pour un site particulier, mais aussi pour les cartes d’ensemble.

- Pas d’indication de l’altitude du poste (indispensable pour plein de raisons : bonne identification géographique, repérage du niveau des chutes de neige, des inversions hivernales...).

- Et puis, surtout, comment The Weather Channel (car c’est bien lui le partenaire météo, un peu masqué) obtient autant de données locales ? D’après leJournalduNet, elles proviennent de la Navy US, ce qui est très plausible. Par chance ces labos échappent au malthusianisme européen mesquin, poussé à son extrême chez nous par l’opérateur officiel.

Je n’ai pas encore découvert la martingale. Pour Chamonix, par exemple, alors que ces derniers mois, TWC rattachait cette station au... Grand-Saint-Bernard (9 °C d’écart en moyenne, pour n’évoquer que la température !), il me semble que la météo officielle de référence serait désormais Les Eplatures, aéroport de La Chaux-de-Fond, dans le Jura suisse. C’est déjà mieux, ne serait-ce que pour l’altitude.  Amalgame osé tout de même !...

Pour faire un bon travail d’approche, il est indispensable en effet de trouver un site météo officiel de référence, à proximité et dans un contexte géographique aussi semblable que possible (altitude, environnement, orientation par rapport aux flux des masses d’air...). Assez simple en plaine, autrement plus compliqué en montagne. Partant de cette référence, il convient ensuite de procéder à des adaptations statistiques pour tenir compte des spécificités locales. Avec cette méthode, on obtient d’excellents résultats en prévision, en “apprenant” durant au minimum une année (toutes les saisons) comment une station de mesures locales, automatique et H24, réagit à l’ambiance synoptique en altitude (masses d’air en “air libre”, hors influence singulière du sol). La statistique permet de dégager des corrélations. Méthode adoptée avec succès pour les JO d’Albertville en 92.

La solution idéale serait que Google puisse utiliser les informations de la station automatique de Météo-France au Bois-du-Bouchet. Mais voilà, elle n’est même pas disponible sur Internet, ce que pour ma part je trouve scandaleux. Je m’en suis largement ouvert dans ces chroniques.

J’ai évoqué les lacunes de la météo de Google Maps, c’est pour en saluer les mérites. Pour le moment, nous recevons une version “bêta”, donc incomplète, donc perfectible. Je ne doute pas que Google saura vite pousser les feux. Pas eu bien le temps de tester la fiabilité des données. J’ai tout de même constaté des valeurs de températures étranges pour la Vallée de Chamonix (et ça n’est, forcément, pas exclusif, du moins en montagne). On obient un secteur en demandant par exemple Chamonix dans la fenêtre de recherche (on obtient le massif du Mont-Blanc, ses abords), ou bien France, ou encore Europe... Cette dernière requête permet d’avoir le recul suffisant pour obtenir une très intéressante répartition synoptique des perturbations sur l’Europe donc, plus l’Atlantique Nord. La nébulosité reste... nébuleuse dans cette version, mais néanmoins déjà très informative. Je souhaite qu’y soient vite ajoutés les échos de précipitations, les impacts foudre, le vent, le tracé des isobares... Une très très ancienne envie personnelle de présentation complète, accessible et belle pour le grand public.

     

Malgré ses imperfections, cette irruption fracassante du géant de l’indexation va considérablement faire bouger les lignes. Météo-France a toujours adopté une philosophie de distribution frileuse, que j’ai toujours combattue. La meilleure défense, c’est l’attaque, on le sait depuis l’éternité, pas le replis timoré. L’opérateur public a toutes les données, il lui suffisait de les distribuer en transparence, avec un accommodement graphique alléchant pour attirer une audience encore plus vaste et ratisser ainsi des quantités de recettes de pub (il faut bien vivre, je le comprends parfaitement, l’ai même proposé en son temps, bien avant que ce soit fait sur son site). Il n’est jamais trop tard pour se remettre en question et foncer. Puisque les données instantanées et prévues deviennent largement plus accessibles, la bataille concurrentielle se déplace vers la qualité de mise à disposition, l’affichage, l’innovation communicante, un dû au profane. En amont, dans un secteur si sensible à l’aléa climatique que le massif du Mont-Blanc, il revient, à parité, aux autorités locales de réclamer transparence et efficacité aux services concernés, pour des raisons de sécurité flagrantes (au moins le respect de l’obligation de moyens, autant que faire se peut). Vrai à Chamonix, vrai partout...

Pour le meilleur intérêt de l’usager-contribuable, qui mérite ce retour sur investissement.



24 décembre 2011

26) Peur sur le village



Récemment, j’ai été agacé d’entendre une fois de plus le présentateur météo d’une grande chaîne généraliste annoncer “
Fort risque d’avalanche, 4 sur 5”. J’ai constaté que cette pratique est fréquente... faute de temps sans doute ; elle motive ma réaction.


Les vacances de Noël commençaient, trains et voitures déversaient leurs flots de citadins venus se ressourcer quelques jours en montagne, y chercher la sérénité des cimes et, pour beaucoup d’entre eux, un décrassage des muscles et de l’esprit par la pratique des sports de glisse.


Par chance, après un automne particulièrement sec, l’anticyclone immuable avait craqué, cédé le passage à de vigoureuses perturbations océaniques : la neige tant attendue, devenue presque inespérée pour les Fêtes, tombait depuis peu en abondance. Jusqu’à 2 m sur les Savoies, 1,5 m sur l’Isère, et de l’ordre du mètre sur les Hautes-Alpes. Superbe cadeau à l’entrée des vacances !


Sûr qu’il fallait mettre en garde tous ces affamés de “poudreuse” contre les dangers de l’avalanche, d’autant que la grande majorité en ignore les lois. Une mise en garde particulièrement nécessaire pour les adeptes du “hors piste”, pas toujours conscients des risques qu’ils encourent. Le domaine skiable “ouvert” étant lui “sécurisé” par les responsables locaux, qui interviennent si nécessaire pour “purger” la montagne de ses risques ou qui “ferment” tel ou tel secteur tant qu’une menace y persiste.


Risque 4 sur 5. Pour les non initiés, cela ne signifie pas grand chose. Si, ils en retiennent tout de même que, tout près du haut de l’échelle, le danger est très sérieux. Une fois sur place, dans les Offices du Tourisme ou auprès des organismes de sécurité locaux (PGHM, gendarmeries, services des pistes, moniteurs, guides...), il est très facile d’obtenir des précisions sur la véritable nature du risque et sa localisation. Mais pour les parents, grands-parents, amis restés dans les cités, il n’en va pas de même. A l’écoute de telles annonces, il y a de quoi s’inquiéter : Quoi ? fort risque d’avalanche, les miens sont-ils en danger ?... Et de se faire du souci, et de s’affoler, et d’appeler dès que possible pour obtenir des nouvelles... De plus, par ignorance et crainte, ce peut-être aussi un argument pour différer ou annuler un WE à la neige. Choix compréhensible qui, répété en nombre, devient pénalisant pour l’économie touristique.


Risque 4 : Lorsque le danger est médiatisé nationalement (avertissements distribués par la TV, les grandes radios, les grands quotidiens...), il signale d’abord une généralisation de “plaques à vents” sur le massif concerné par l’avis des nivologues. Lors des fortes tempêtes et dans les toutes premières heures qui suivent, la “poudreuse” est balayée par les vents forts de l’altitude. Les flocons chahutés, brisés par les chocs entre eux, s'agglutinent en structures compactes de quelques centimètres à plusieurs décimètres, à la surface du “manteau neigeux“ : les “plaques“. Elles ne sont pas facilement repérables par les non initiés (et parfois par les autres aussi...). Soumises à des tensions internes, raidies comme des cordes à piano, elles sont prêtes à exploser au premier choc comme un verre Sécurit. Il suffit du poids d’un ou plusieurs skieurs pour rompre l’équilibre des forces, pour que la “plaque“ se brise instantanément en multiples fragments et blocs, qui se précipitent vers l’aval, selon la pente. Gare aux skieurs embarqués par le flot !...

Mais le risque 4, fort donc, correspond aussi, et c’est logique, à un risque potentiel de départs assez nombreux d’avalanches “naturelles”, d’ampleur moyenne, voire déjà importante. Un risque qui peut éventuellement se manifester seul, sans présence simultanée d’une multitude de “plaques”, si le vent n’a pas soufflé durant la chute de neige ou dans les heures qui l’ont suivie, ce qui est tout de même peu fréquent. Dans ce cas là, l’information du public ne mobilise pas les grands moyens, elle reste au niveau local.

L’”avalanche de plaque” correspond à un “déclenchement provoqué”. Sans surcharge accidentelle (homme, animal...) la “plaque” serait restée en place, plusieurs jours, avant de changer de texture, puis se fondre dans la masse. En régime de froid installé, ces pièges sont durablement tapis, éventuellement dissimulés sous quelques centimètres de neige fraîche déposée après leur formation.


Plaque à vent déclenchée


Rien a voir, donc avec les “déclenchements spontanés” (“naturels”) et fort nombreux des grosses avalanches annoncés par le risque 5. Quand les routes et habitations sont menacées, l’Alerte est plus appuyée, explicite, doit être relayée telle quelle par l’ensemble des médias.

Aérosol de poudreuse


Rien a voir, donc avec les “déclenchements spontanés” (“naturels”) et fort nombreux des grosses avalanches annoncés par le risque 5. Quand les routes et habitations sont menacées, l’Alerte est plus appuyée, explicite, doit être relayée telle quelle par l’ensemble des médias.



17 avril 2012

27) L’été meurtrier de 2003


Hier soir, sur «
France 3 » un retour sur « la canicule de 2003 : un été meurtrier ».  On y découvre l’enchaînement tragique des évènements, lors de cette première quinzaine d’août qui aboutit à une surmortalité de près de 15 000 personnes, surtout âgées, suffoquées par une chaleur très inhabituelle dans nos contrées. Chaleur diurne prolongée par une chaleur nocturne tout aussi accablante, qui ne laissa aucun répit, aucune respiration aux affaiblis, dont l’épuisement se cumula au fil des heures.

 

On constate, non sans stupeur, une machine étatique absolument déconnectée des évènements. Les responsables politiques sont en vacances (ils en ont bien le droit, et même le devoir, pour reprendre reposés le collier des responsabilités), loin de se douter du drame qui se joue, surtout quand on a la chance de respirer un air un peu « rafraîchi » par les brises nocturnes de la montagne. Sur le terrain, les services hospitaliers, les pompiers, les entreprises de pompes funèbres font face à un afflux croissant de victimes, sont débordés, font ce qu’ils peuvent, et même bien davantage. Mais, bizarrement, l’information ne remonte pas jusqu’aux décideurs nationaux, jusqu’aux politiques : dysfonctionnement flagrant.

 

Le Professeur San Marco de Marseille, avait pourtant mis au point, suite à une canicule sévère et mortelle en 1983, un protocole efficace d’assistance aux victimes d’hyperthermie. Personne  ne l’avait écouté quand il fit rapport de son expérimentation réussie (nouvelle illustration de ce “mal français” où personne n’écoute plus personne). Lui-même se sent coupable, si j’ai bien compris la fin du reportage, de ne peut-être pas avoir assez insisté pour faire connaître et reconnaître sa méthode.

 

Incontestablement l’Etat fut défaillant. Bien davantage par déficit évident de communication que par manque de moyens (on dispose de ce qui coûte cher, on ne finalise pas avec ce qui ne coûte rien : le partage). Mon idée de non-spécialiste des rouages administratifs est que l’accumulation de malchances fut flagrante aussi : cœur des vacances, usure des organismes après 3 mois de chaleur quasi constante (juin fut de l’ordre de 5 °C au-dessus des normes, ce qui est exceptionnel, en fait en Suisse le mois le plus chaud de tous devant... juillet 1983 ; juillet un petit ton en dessous n’apporta aucun vrai répit), « anomalie météo » insistante et sans doute jamais vue de mémoire d’homme. Je crois très difficile d’être bon la toute première fois. L’expérience provient des échecs analysés et digérés. En l’occurrence, il n’en existait pas à l’échelle nationale, et le dédain pour la réussite du Professeur San Marco provient sans doute que personne n’a cru que son acquis « méditerranéen » pourrait un jour servir partout.

 

Au fil de ce reportage, un intervenant de Météo-France plutôt discret. Selon l’opérateur historique cette canicule fut la plus sévère depuis… 1950. C’est très probablement faux. Au-début des années 2000, j’ai été excédé par cette manie du service public météo de limiter la profondeur d’investigation statistique à 1950, pour des raisons grotesques, purement technocratiques (définition d’un index national à partir d’un nombre limité de stations – une vingtaine je crois ; comme toutes les stations du panel n’étaient pas ouvertes avant 1950, on s’interdisait donc de bousculer cette butée purement fictive, alors que plusieurs séries de relevés très sérieuses existaient chez nous depuis le milieu du XIXème et que nos voisins savaient prendre beaucoup plus de profondeur). Cette « anomalie de température » exceptionnelle dans son ampleur… et surtout sa durée, ne s’est pas produite depuis certainement bien plus que 53 ans. Je suis surtout étonné qu’aucun responsable, d’où qu’il vînt, ne fit remarquer qu’à aucun moment ne fut lancé une « Alerte météo à la canicule ». En matière de climat, Météo-France est tout de même bien tout au sommet de la pyramide de signalisation, puisque sa mission est évidemment d’anticiper (prévention). Après les tempêtes de 1999, qui ne furent pas non plus un succès de prévision (encore un exemple de phénomène, cumul de phénomènes qui plus est, absolument inconnu, donc difficilement gérable), le dispositif d’alerte précédent – sa transformation complète prouve qu’il n'avait pas donné satisfaction - fut complètement bouleversé pour aboutir à l’incontestable progrès des « cartes de Vigilance ». Or ces cartes n’avaient ni intégré les dangers des « Grands Froids », d’autant plus accentués que le vent est fort (« windchill »), ni ceux liés aux « Fortes Chaleurs », d’autant plus pénibles que l’humidité est grande (« heat index »). A noter tout de même que les méfaits des excès des « températures ressenties » sont connus et largement médiatisés depuis longtemps en Amérique du Nord. Pour sa part, le danger « Surcote », familier et traité dans nos îles tropicales, où il accompagne les cyclones, fut ajouté, lui, après... Xynthia (et utilisé… moins d’une semaine après la terrible tempête pour le Cotentin et Saint-Cyprien). En conséquence, la Direction Générale de la Santé (DGS) ne reçut-elle, le 8 août me semble-t-il, qu’un « Communiqué de Presse de forte chaleur » avis destiné essentiellement aux médias, donc au grand public, mais qui n’a pas du tout la force, l’impact contraignant d’une véritable « Alerte », parce qu’il n’est pas conçu pour mobiliser ni les autorités, ni  les services de Sécurité.

  


Anomalie de surpression à 500 hPa (NOAA), installée depuis février sur le Nord de l’Europe, en plein sur la France en juin, toujours présente en août.



Anomalies des températures mondiales en juin 2003 (NOAA). La canicule s’est installée. Au moins 5 °C au-dessus de la moyenne sur la majeure partie de la France et pays voisins. Un écart exceptionnel sur cette durée. Le sol s’assèche, même les orages locaux sont privés d’humidité et ne peuvent distribuer assez d’eau. Le sol surchauffe, jusqu’à la période tragique de la première quinzaine paroxysmique d’août.



02 juillet 2012

28) Enfin de la nouveauté météo à Chamonix !



http://www.chamonix.com/meteo,11,fr.html

Depuis l’hiver dernier, L’Office du Tourisme de Chamonix a modifié de façon très spectaculaire la présentation de ses prévisions. Ceux qui me font l’honneur de suivre ces chroniques intermittentes ne seront pas surpris si j’applaudis très fort cette nouveauté.


Qu’en est-il exactement ?

- Utilisation d’un graphisme assez élaboré pour montrer une coupe verticale du secteur de Chamonix. Le relief justifie amplement cette représentation, où l’on voit schématisées les deux chaînes qui enserrent la Vallée : massif du Mont-Blanc et Aiguilles Rouges. Une coupe pour le matin, une pour l’après-midi, une pour la nuit, l’ensemble affichant avec précision l’évolution nuageuse (répartition, altitude de la base, épaisseur, activité...). Pas de doute, on comprend immédiatement. C’est incontestablement plus parlant et riche qu’un long discours aux termes pas toujours assez évocateurs. Un bond de clarté et compréhensibilité.

- Tableaux sobres mais très instructifs sous les coupes. Ils mettent en évidence à plusieurs niveaux les températures, les vents, les épaisseurs de neige fraîche. Tous paramètres essentiels pour le confort et la sécurité des grimpeurs.

- Cette formule graphique est reconduite pour le lendemain, tandis que les 3 jours suivants, étant donné l’incertitude grandissante, ne sont renseignés que par des pictogrammes traditionnels, pour les mêmes périodes.

- L’essentiel de l’information se concentrant dans les images, dont le symbolisme est universel, il est devenu facile de les affecter à des versions multilangues : anglais, allemand, italien, espagnol. Efficacité multipliée pour honorer comme il se doit les visiteurs étrangers et assurer aussi, désormais sans l’ambiguïté de traductions de fortune, leur bien-être et leur protection.


Inévitablement, ce bulletin new look ne peut que rencontrer l’adhésion de tous les usagers. C’est un début, il se perfectionnera à l’usage. Je suis bien certain qu’il fera vite des envieux parmi les autres stations de montagne et que sa dissémination rapide est assurée. D’autant que, préparé par Météo-France, supervisé par les prévisionnistes officiels locaux, il bénéficie de l’expertise des spécialistes ; l’usager dispose ainsi de la meilleure fiabilité.


De toute évidence, un deal nouveau a été passé entre l’OT et Météo-France. Il efface plus de 10 ans de distance entre les deux organismes, de flou insupportable dans la fabrication et la distribution de la météo à Chamonix - à l’insu de presque tous - dû à un cavalier seul de l’Office en matière de prévision. Il fabriquait les siennes pour pallier les abandons successifs du Centre départemental de l’opérateur historique. Les prévisions “privées” se retrouvent à cette adresse :

http://chamonix-meteo.com/


J’ignore quels sont devenus les liens entre l’Office et cette production parallèle qu’il a parrainé, de bonne qualité d’ailleurs, qui longtemps a alimenté - gratuitement - le web et l’affichage dans bien des vitrines et halls d’hôtel non seulement de la Vallée mais aussi des stations alentour. Elle a eu le grand mérite de proposer des bulletins en anglais aussi et de bousculer Météo-France par des prévisions à 5 jours, tandis que le Centre départemental se limitait à 48h. Il a dû s’aligner...


Tout serait parfait, si ce dispositif ne s’était mis en place d’une façon très cavalière à mon égard.


Un peu d’histoire...


Lorsque je dirigeais la station météo de Chamonix, jusqu’en 1979, j’avais mis à disposition du public un panneau très complet, avec les bulletins de prévision mais aussi diverses cartes dont une résumant la situation du jour en utilisant des pictogrammes (voir dans les articles précédents pour les détails). Panneau très utilisé, apprécié, photographié... Dans les mois qui suivirent mon départ, la richesse documentaire était abandonnée et les pictos sculptés dans de l’arole, peints et vernis, dispersés ; bien vite ne restait plus que le bulletin texte.


Par ailleurs, depuis Grenoble où j’exerçais dès lors, je multipliais les interventions pour défendre l’utilisation des pictogrammes par Météo-France ; j’ai eu droit à beaucoup de sourires incrédules. En 1985, je mettais au point un bulletin télématique (Minitel) pour une société de communication de la ZIRST (Innovation/Recherche) de Meylan. Très innovante, très consultée et appréciée, cette présentation révolutionnaire étendue à Dauphiné/Savoies - 1ère française, 1ère mondiale - offrait des cartes de France et régionales piquetées de pictos. Et puis, j’avais tenu à ce qu’il informe aussi dans la dimension verticale, celle de la pratique des activités et sports de montagne : une nécessité rendue accessible par l’évolution des technologies graphiques et de transmission. Le magazine contenait donc des coupes pour positionner les isothermes 0 et - 10 °C, les vitesses et directions de vent à plusieurs niveaux... et les nuages. Certes la définition du Minitel ne permettait pas un rendu aussi fin et beau que celui dispensé par l’OT de Chamonix aujourd’hui ; il n’empêche le concept était identique, 27 ans plus tôt !... Je raconte par ailleurs comment le projet fut ignoré par les instances de Météo-France et pourquoi l’expérimentation ne dura guère plus de 2 à 3 ans, portée à bout de bras par la Grande Traversée des Alpes (GTA). Ce n’est qu’à la fin des années 90, que Météo-France adopta enfin les pictos pour son site Minitel, puis celui du web.


Depuis le milieu des années 80, je milite - seul, encore ! - pour une animation météo publique, H24, à destination des montagnards (images satellitaires des nuages, échos radar des précipitations, impacts de foudre, le tout en live désormais, images complétées par des données graphiques d’observations et de prévisions). J’ai multiplié les tentatives de persuasion de ma direction quand j’étais en activité ; j’ai poursuivi dans plein de directions depuis ma retraite en 2002. Échecs constants, scepticisme généralisé.


Fin 2010, je prends contact avec un conseiller municipal de Chamonix. Il se dit intéressé. Au printemps 2011, je lui rédige un projet de lettre pour le P-DG de Météo-France. Il le met en forme, le signe et l’envoie. Je me fais aussi appuyer par une personnalité, et de mon côté, avec sa caution, je fais la même démarche par courrier. Le P-DG répond à ce soutien de bonne volonté, mais pas à moi... Lui 4 ans de Météo-France, une comète qui rejoindra demain un autre poste, dans un autre métier, moi 40 ans d’expérience, dont celle d’avoir en premier servi tout seul, 6 étés durant, la station météo naissante de Chamonix. En substance, le P-DG reconnaît la pertinence du projet, mais l’enlise dans des considérations de coût infondées (investissement : un PC, un écran plat, une ligne ADSL, un programme dédié sur un serveur de Météo-France interrogé automatiquement ; coût dérisoire, seulement de la bonne volonté). Mais, par ailleurs, le P-DG de Météo-France missionne la directrice régionale Centre-Est (Lyon) pour examiner le projet avec des responsables de Chamonix. Réunion le 16 août 2011. Je ne serai jamais destinataire du compte-rendu, ni par Météo-France, ni par Chamonix. Pourtant je suis à l’origine de tout cela. Elégance et gratitude ! Quelques mois plus tard, sort en ligne le nouveau bulletin graphique présenté ci-dessus et redémarre la collaboration perdue entre Météo-France et l’Office du Tourisme de Chamonix. Tout le monde m’a évacué : mépris maximum !...


Il n’empêche : je revendique la paternité de cette innovation, qui fait écho à mon expérience Minitel de 1985, qui représente un premier aboutissement d’un combat personnel permanent, depuis ces années-là, pour mettre à la disposition du grand public - en montagne d’abord - une information météo moderne, exploitant tous les potentiels du high-tech (rapidité des transmissions, finesse et beauté des illustrations possibles, animations...). Inconcevable qu’il ait fallu si longtemps pour enfin dépasser le bulletin routinier de papa. Pour la première fois depuis mon départ en 1979, grâce aux secousses que j’ai provoquées en 2011, la météo de Chamonix repart de l’avant. Ces 30 dernières années furent effectivement émaillées d’abandons successifs : panneau d’affichage réduit au seul bulletin, puis plus de panneau du tout, repli après 1995 du Centre météo à Chamonix-Sud, isolé, bunkérisé, création avant 2000 d’une prévision concurrente par l’Office du Tourisme, réduction du volume consacré à la météo dans ce qui fut un Météosite dans la Maison de la Montagne et qui s’est transformé, fin 2009,  en Pôle Risk Montagne.


C’est un premier bon et beau pas. Je ne manque pas d’idées pour aller plus loin. Bien plus d’efficacité est possible en matière de communication, donc d’amélioration de la prévention pour les évolutions en montagne, avec très peu d’argent. L’ordinateur produit désormais des prévisions d’une qualité exceptionnelle ; il est bien temps de réfléchir aux solutions modernes pour les mettre à la disposition des usagers vite, agréablement, avec une efficience notablement accrue.


Les prochains progrès sont tout trouvés :

- animation publique H24 (cf. ci-dessus) ;

- panneau d’affichage des bulletins, complétés par des cartes et autres documents pédagogiques ;

- réalisation d’une Observation, comme dans les autres Centres départementaux, pour une distribution Internet en temps réel, nationale et internationale, du temps effectif à Chamonix ;

- retour le plus rapide possible de Météo-France dans la Maison de la Montagne, sinon du Centre Départemental complet, ce qui n’est matériellement pas concevable (place insuffisante), mais au moins à travers le détachement auprès de l’OHM et du Pôle Risk Montagne d’un prévisionniste pour les mois de forte activité alpine, ce qui, là-haut, les concerne presque tous.



05 février 2013
29) Et la rigueur b... !

Récemment, alors qu'un refroidissement s'annonçait sur la France (il fut plus inconfortable  - beaucoup de neige et/ou verglas sur l'Ouest, le Nord, le Nord-d'Est - que sévère, puisque seuls quelques secteurs descendirent quelques jours sous les -10 °C), le service météo d'une de nos grandes chaînes de TV annonça un "froid extrême". Extrême !?!... On pense à -15, à -20. En fait, il s'agissait de... -5 °C. Peu de jours après, autre intervenant, qui reprend la même formulation pour... -4 °C.

J'ai piqué une colère : Mais enfin, avec de telles valeurs prévues, on reste dans un froid très modéré, très normal, pour un mois de janvier ! 

Comme je m'en suis déjà expliqué plus avant dans cette chronique, les mots ont un sens, en science plus que partout ailleurs. Comment former le public à une compréhension conforme, si ceux qui sont chargés de l'instruire en la matière racontent n'importe quoi ?

C'est inadmissible de la part de présentateurs qui ont des années de métier, d'expérience, qui se retrouvent quotidiennement au contact de prévisionnistes de Météo-France.

Mais, pire, je me dis qu'il n'est pas normal que l'Opérateur public n'intervienne pas. Ce que j'entends, d'autres professionnels en activité ne l'entendent-ils pas aussi ? C'est impossible. Alors, que ne prennent-ils leur téléphone ou, du moins, que ne notent-ils pas ce dérapage quelque part, pour le faire le lendemain remonter sur la hiérarchie ?

En l'occurrence, il m'apparaît clairement que la responsabilité et la culpabilité de cet à-peu-près inacceptable reviennent au service public en charge de l'information des usagers.

Certes, cet exemple est plus crispant que grave. Mais il porte du sens : la déontologie et la "Qualité" réclament l'exigence ; elle n'est pas au rendez-vous. Au reste, on retrouve ce laxisme dans les bulletins de prévision des Centres départementaux, que ce soit pour la température ou d'autres paramètres. Et que ce soit pour qualifier aussi les écarts aux normes dans les bilans hebdomadaires, mensuels, saisonniers  ou annuels : un écart de 1 °C sous la moyenne, c'est normal ou frais ? -2 °C, c'est frais ou assez froid ? Et ainsi de suite... Et pour tous les paramètres, comme les cumuls de précipitations, d'insolation, pour les vitesses de vent....

Il devrait exister une sorte de barème, une grille de codification, qui serait utilisée par tous les communicants, de Météo-France ou des médias. De façon que, peu à peu, des deux côtés de l'information, distributeur et récepteur, on comprenne bien la même chose.


15 février 2013
30) Durée d'ensoleillement, le paramètre pauvre


L'actualité récente a mis en vedette la médiocrité de la "durée d'ensoleillement"
du mois de janvier écoulé. Globalement, pour la France, il fut un des mois les moins ensoleillés depuis 1950. Le déficit atteint 50% sur le 1/4 NE, pire du Berry au nord de l'Alsace, avec, par exemple, seulement 11h27 à Auxerre, soit un déficit de 80% ! Sur le nord de la France, il a souvent neigé, et même si le froid et les précipitations furent globalement conformes à la saison, le ressenti le plus fréquent est que le premier mois  de l'année fut accablant de grisaille et de tristesse. D'ailleurs, au moment où je rédige cet article, février lui a emboîté le pas deux semaines supplémentaires : le besoin de lumière est devenu obsessionnel.

Les médias nous parlent constamment des températures, de la pluie, de la neige et du vent, mais bien moins de la "durée d'ensoleillement". Pourtant, le Soleil c'est notre énergie, c'est la Vie. Inutile de s'étendre sur l'influence qu'il a sur notre moral. Au point que, maintenant, pour combattre les coups de blues liés au déficit de lumière, des lampes spéciales reproduisent la lumière solaire dans toutes ses composantes pour de véritables cures de "luminothérapie".

Personnellement, je regrette depuis longtemps que le public n'obtienne un bilan de Soleil à la TV, à la radio et dans les journaux, que le mois terminé. C'est long un mois ! Je suis persuadé que les gens manifesteraient de l'intérêt pour un suivi de jour en jour de l'accumulation d'heures de lumière naturelle. Certes le site de Météo-France affiche maintenant des bilans quotidiens très intéressants. Mais leur accès me paraît un peu compliqué : il faut une vraie motivation pour les chercher, les extraire et en comprendre le sens.






Au fil des mois, la durée d'insolation moyenne  à Grenoble-St.-Etienne-de-St.-Geoirs, se répartit comme ci-contre. Elle suit logiquement la "montée" du Soleil au printemps, sa "descente" en automne.





Pour janvier 2013, à Auxerre, là où la "durée d'ensoleillement" fut la plus faible, le cumul du mois n'a donc atteint que 11h27, alors qu'il monte en moyenne à
64h (et c'est déjà peu). On remarque que durant les 10 premiers jours du mois, le ciel fut constamment bouché : pas un rayon de Soleil !...

Si on admet que, théoriquement, le cumul d'ensoleillement se constitue régulièrement, à part égale chaque jour, on peut tracer une droite qui part de 0 le 1 à 0h  pour atteindre 64 le 31 à 24h. Pour rendre plus visible les écarts entre moyenne et réalité du mois en cours, on choisit de colorier en bleu les déficits, en rouge les excédents. Le bilan catastrophique de 2013 saute aux yeux.






Grenoble-St.-Etienne-de-St.-Geoirs
, bien plus représentative pour le bilan dans la région Rhône-Alpes, affiche un résultat moins sinistre, sans être reluisant. Durant les premiers jours, on découvre même un petit excédent temporaire. 68h en janvier pour une valeur moyenne de 95h.







Bilan provisoire, au 14 du mois, pour février à Grenoble-St.-Etienne-de-St.-Geoirs. La tendance déficitaire s'est prolongée, associée à un type de temps perturbé de NW, humide, chargé en nuages, et plutôt froid.

L'idéal serait de pouvoir obtenir sur le web un affichage au jour le jour. Il existe dans la section "Climat" de Météo-France. Mais je préconise depuis longtemps que, sur une carte de France, soient affichées en permanence des vignettes cliquables pour agrandissement, qui fourniraient ce type d'information. Bien sûr, pour ne pas surcharger la carte, il suffirait de sélectionner un panel de stations représentant un type de climat régional. Exemple : Nice a atteint 157h en janvier de cette année pour 158h "normalement". Les contrastes climatiques furent donc extrêmement accusés, plus qu'à l'ordinaire et leurs effets sur l'humeur tout aussi spectaculaires. La méthode serait à appliquer, bien sûr, pour les températures et les précipitations, de façon à obtenir une sorte de "tableau de bord" en direct et continu des fluctuations climatiques sur l'ensemble du pays.

(données Météo-France)



2 novembre 2013
31) Coup de tonnerre dans le ciel de Météo-France

“Meteo-France perd son contrat avec France2 et France3 national”...


Quel choc !...




Comment des services publics peuvent-ils ne pas s'entendre entre eux ? Si MeteoGroup (très dynamique, très créatif, dont les prévisions me paraissent très valables, issues de modèles internationaux réputés - je l'ai sur ma tablette) peut afficher un tarif attractif, pourquoi Météo-France ne s'aligne-t-il pas ? Depuis que MF est entré en commercial, il s'évertue à pratiquer des coûts dissuasifs, sans pour autant rechercher les qualités de présentation et de service optimales. Je n’évoque  pas ici celle des produits, les "modèles numériques" de prévision, qui égalent les meilleurs, mais de celle de la mise à disposition, de la Com en un mot, du souci de l'usager et du contribuable. J'en connais plein d'exemples ; j’ai développé un certain nombre de ses conséquences dans cette rubrique. Résultat : MF, trop cher, trop gourmand, incapable de flexibilité, perd des quantités de clients (la plupart des journaux s'adressent à d'autres officines ; c'est le cas dans le Nord-des-Alpes du groupe du Dauphiné Libéré, qui reçoit ses prévisions de... Suisse). La démarche “Qualité” de MF, qui dure depuis des années, n'a pas privilégié la Com, la convivialité, la créativité... (je sais très bien de quoi je parle, pour avoir constamment proposé et réalisé de l'innovant dans ces domaines).

Cette sanction ahurissante et humiliante pourrait être méritée : on peut penser que le coût n'a pas été le seul critère qui a pesé. Si les relations étaient excellentes entre France-Télévision et MF, si la satisfaction était au rendez-vous, j'imagine que la poursuite du partenariat aurait prévalu. D’autant que le service public de TV est tout de même le diffuseur normalement incontournable, bien au-delà de la logique libérale, de la “météo facteur essentiel de sécurité”, “de prévention des dangers contre les personnes et les biens”.


Cette obligation de service
fondatrice est tout de même l’argument majeur pour justifier la priorité intangible aux médias d’Etat.


Souvenons-nous aussi de l’abandon assez récent, sur injonction gouvernementale, du siège historique de l’Établissement, au 1 quai Branly, on ne peut mieux situé à Paris. Alors que MF devrait bénéficier du vent porteur, dans la mesure où pratiquement tout le monde en a quotidiennement besoin, pour la Sécurité, le Confort, l’Optimisation de fonctionnement de presque toutes les activités (de l’Agriculture à la Défense en passant par les Transports…), alors que l'évolution du climat inquiète à juste titre, je ne suis pas certain que le dossier de maintien sur place ait été bien défendu. C'est Poutine qui a emporté le marché sur ce site éminemment prestigieux, pour y construire une église orthodoxe. Bravo Poutine ! Sur un pareil emplacement, tout près de la Tour Eiffel, du nouveau musée des Arts primitifs, du Trocadéro, des Champs-Elysées, il fallait, de mon point de vue, à tout prix sanctuariser cet héritage (on sait que certaines économies du jour deviennent parfois de bien mauvais calculs plus tard), pour y maintenir le siège (“de la gueule” pour l’accueil des VIP, notamment des étrangers), établir une “cellule médias” musclée et un espace public “musée-pédagogie” (on retrouve la Com).





Qui donc fournissait la météo au
Tour de France 2013 ?

J’ai découvert, lors de sa dernière édition, cette météo bien présentée, complète, très pertinente dans sa forme (à n’en pas douter de bonne qualité sur le fond aussi). Par contre,  cherchant bien, je n’ai pu en trouver  le producteur. Le style est celui de MF. Mais pourquoi est-ce dissimulé ? La transparence est nécessaire, ne serait-ce que pour crédibiliser le produit et valoriser l’entreprise. Il s’agissait, je le rappelle, du 100ème Tour, dont la renommée et l’impact sont mondiaux. Quel support idéal pour se faire connaître et apprécier !


A échelle bien plus petite, le même abandon a dénaturé la météo de Chamonix, à la fin des années 90. Météo-France ayant décidé de se retirer de la Maison de la Montagne, où sont regroupés la plupart des organismes décisifs  (Compagnie des guides, moniteurs de l’ESF, Office de Haute Montagne...), pour aller s’isoler dans un sous-sol d'un immeuble de Chamonix-Sud. Ainsi le Centre météo tournait le dos à sa justification initiale, au service de proximité, qui prévalut lors de  sa création en juillet 1969 au pied du Mont-Blanc (Chamonix étant par ailleurs la seule commune touristique française de ce standing - international - à bénéficier de la présence d’une équipe de météos professionnels dans ses murs, l'équivalent n'existant pas non plus chez nos voisins alpins). Un privilège d’exercer ce métier là-haut. En contrepartie, il impose des devoirs, une qualité de service supérieure, exemplaire. Le Centre météo local devrait être une vitrine, un laboratoire d'innovation et notamment de communication. Il existait d’autres solutions que cette fuite stérilisante ; je n’ai pu les défendre, n’ayant pas été consulté, malgré mon expérience, ma légitimité à fournir un avis que je crois autorisé. Les petits reculs préparent les grands...


C’est aussi, à la fin de cette décennie 90, à cause d’une offre de service de MF trop coûteuse pour le droit d’intégrer les prévisions officielles à son site Internet, que l’Office du Tourisme de Chamonix a préféré créer sa propre cellule de prévision météo (!!!). Le bulletin de l’OT, de par sa qualité (tant formelle que sur le fond), sa disponibilité en langue anglaise aussi… et sa gratuité, est largement le plus distribué dans la Vallée, et très certainement aussi sur le web, où celui du Centre météo est payant. Outre le fait qu’il est tout de même incongru que l’OT soit obligé de distribuer, concurremment, des “prévisions maison”, alors qu’un centre officiel est là pour cela (le contribuable chamoniard a bon dos, qui les paye deux fois…), une fois de plus, il s’avère que des tarifs trop gourmands débouchent sur un refus du client potentiel et, in fine, sur une fuite de recettes.






Photo du 3 février 1978 à Chamonix. Panneau créé en 1974, avec le concours des services techniques de la
Commune et de plusieurs organismes (PGHM, Sécurité Civile…). A mon départ, en 1979, il fut vite négligé pour ne plus guère afficher que la page  de prévision.

En 2011, j’ai proposé à la Commune une “animation” sur écran plat visible H24, pour distribuer en continu des images satellitaires, foudre, radar (précipitations), des données locales, nationales..., actuelles et prévues… Informations  aptes à fournir un spectacle original, mais surtout utile au suivi serré de l’évolution des conditions, pour améliorer confort et sécurité des courses , des randos, du ski. MF a validé le concept (très peu coûteux), mais  l’a évacué avec des arguments fallacieux. La Commune n’a pas insisté.. Très dommage !...








Un des tristes et néfastes effets de la rivalité entre les
prévisions officielles et celles de l’OT, ce que presque tout le monde ignore d’ailleurs, entretenant une confusion bien inopportune dans un domaine qui touche à la… Sécurité.


Ce panneau d’affichage (photo du dimanche 20/09/13, vers 13h), plus qu’ordinaire, discrètement installé sous l’escalier de la façade principale de la Maison de la Montagne, contient des arrêtés du maire d’une part, et, sur une surface dérisoire, des prévisions  météo de sources distinctes et, qui plus est… désynchronisées !





A gauche, le bulletin de
Météo-France, rédigé à 17h30, la veille (depuis, deux nouveaux ont été produits !...). A droite, celui de l’OT, du samedi à 08h30. Autre différence notable, le premier est en français, le second en anglais.. Bravo pour cette attention à la multitude de touristes étrangers ! mais circonspection assurée des bilingues se trouvant face à des pronostics périmés, inévitablement différents  (MF arbore pourtant un label Qualité !...). La Maison de la Montagne mérite considérablement mieux, par respect pour ses usagers.



A travers ces quelques exemples, on constate combien Météo-France peine à se valoriser, par l'absence de "signature" (logo) sur ses produits grand public, par une discrétion qui déconcerte ses usagers (il se pénalise lui-même, par effet boomerang), par un déficit flagrant d'imagination, ou, plus simplement, de souci de bien remplir sa mission d'information, d'alerte, de pédagogie. Nul doute que l’Établissement pourrait retirer d'une “Com” attentive non seulement un surcroît d'attachement, de reconnaissance, mais aussi des retombées commerciales, liées à une meilleure image et à la découverte par les clients potentiels de l'étendue de ses capacités et du niveau de ses performances.

Toutes ces distorsions par rapport à ce que je crois indispensable (très accessible, tant techniquement que financièrement), pour améliorer les prestations météo, tout particulièrement au bénéfice des usagers montagne, sont au coeur de ce qui motive ces “humeurs”.


11 février 2014
32) L’échelle de risque avalanche

Hier encore, trois professionnels pris dans une avalanche qu’ils ont déclenchée, une “massive” écrit la presse, par un risque de ⅗.


Aucune intention de polémiquer, le sujet est trop sérieux. Par contre celle d’apporter une contribution à un débat que je crois nécessaire.


Personnellement, j’ai eu à rédiger de ces “bulletins nivologiques”. Autant je trouve la nivologie passionnante - et, sous l’impulsion du Centre d’Etudes de la Neige de Grenoble, il faut souligner qu’elle a connu de superbes et efficaces progrès dans le prolongement de la tragique avalanche de Val-d’Isère en février 1970 -, autant je trouve le rôle de prévisionniste neige difficile et ingrat. En matière de météo, les conditions fluctuent selon une amplitude qui va du meilleur au pire, le prévisionniste, après plusieurs jours de pronostics sombres, peut se libérer, faire plaisir et se faire plaisir, en annonçant du “grand beau”, éventuellement pour plusieurs jours… Par contre, dès qu’il y a un peu de neige en montagne hivernale, il est inévitable de laisser toujours traîner un minimum de risque, incompressible. C’est la réalité, mais c’est déplaisant. Alors on se justifie, on se rassure aussi, par un galvaudé “le risque Zéro n’existe pas”.


Oui, le manteau neigeux, comme l’on dit entre initiés, est sournois, incrusté de pièges, invisibles le plus souvent. Sa “perversité” va jusqu’à se présenter sous le meilleur jour séduisant tout en dissimulant les pires fragilités, les pièges les plus meurtriers : beauté du diable !... André Roch, un nivologue émérite de Davos, répétait dans ses exposés : “Vous êtes un expert, mais la montagne ne le sait pas…” Comme c’est hélas vérifié ! Durant ma carrière, l’avalanche a tué combien d’amis très expérimentés, très prudents, très conscients des risques, pédagogues avertis et consciencieux !...


Dès 1981, la Météorologie Nationale proposait une “échelle du risque d’avalanche”, déclinée en 8 niveaux, distinguant “risques naturels” et “risques accidentels”, autrement dit “avalanches spontanées” et “avalanches provoquées”*. Malgré des imperfections, bien normales pour un début - la principale étant que certains, par facilité, se limitaient à ne retenir des bulletins que le seul chiffre du risque -, elle trouva sa place dans les réflexes des usagers. Mais d’autres échelles en Europe surgissaient dans les pays alpins voisins. Au bout de 10 ans de réponses en ordre dispersé, peu lisibles, voire incohérentes, la question de l’harmonisation des échelles s’est posée avec insistance. Colloques après conférences, échanges après rencontres, au bout de confrontations et concessions, les services concernés (nationaux la plupart du temps) ont adopté en 1993 une seule échelle de risque avalanche valable pour tous les pays de l’arc alpin et l’Espagne.


Incontestable et fort utile avancée.


Mais il semble que tout pour autant ne soit pas réglé (rien ne l’est jamais), à cause d’un certain flou d’abondance et redondance dans les définitions, couvrant par ailleurs des risques croisés, bien différents dans la façon dont il convient de les aborder, et toujours cette distinction entre le “spontané” et le “provoqué”, opportune mais troublant un peu plus le message. Les rédacteurs ont fait beaucoup d’efforts pour chercher une formulation appropriée, mais l’éventail des risques est tel et leur degré tellement compliqué à évaluer que la synthèse recherchée par l’échelle actuelle est inévitablement plutôt obscure pour les non initiés, la très grande majorité des skieurs sans doute. A l’écoute des commentaires, des réflexions des uns et des autres, un réexamen des modalités de l’alerte paraît nécessaire. Il convient d’abord  de justement se poser la question : l’usager de base, celui qui n’a pas assisté à des cours de nivologie, il en pense quoi ? Il comprend quoi ? Là est le noeud du problème. Il me semble qu’une grande enquête devrait être lancée par l’ANENA**, en s’appuyant sur le concours gracieux des magazines spécialisés.


L’échelle officielle, ci-dessous, masque en réalité un certain nombre de dérogations, d’adaptations nationales. C’est le cas en France, il doit en aller de même ailleurs. Normal, mais source d’incompréhension pour qui traverse les frontières… donc un risque surajouté, là où vraiment les vrais sont déjà trop nombreux.


Ce qui me préoccupe particulièrement, c’est ce risque de 3 sur 5, “Marqué”, dit l’étiquette. “Marqué”, ça signifie quoi ? Tout est marqué, plus ou moins. Ce qualificatif n’est pas spontanément reliable à un nombre, à une intensité. Du moins, c’est ainsi que je le ressens. Puisqu’il vient avant “Fort”, il pourrait s’intituler “Assez Fort”, contenant déjà “fort”. L’échelle de 5 niveaux en conjugue en réalité 6 dans la pratique de Météo-France, un 5 “Très Fort”, qui ne justifie pas un niveau d’Alerte générale, car la multiplication envisagée des avalanches spontanées ne menace directement ni routes ni habitat, un 5+ “Très Fort” aussi, qui, lui, exige la mobilisation de tous les moyens pour organiser la diffusion de l’information et les mesures contraignantes d’interdictions des accès, de confinements, d’évacuations... Je fais remarquer, au passage, combien il est plus facile de “brutalement” interdire durant quelques heures que de décider de permettre le retour à la vie normale. La première émotion passée, les usagers ne supportent pas longtemps de se sentir “prisonniers” de dispositions administratives, fussent-elles à but de sécurité. Stimulée par l’anxiété, les interrogations, les critiques, l’agenda de la vie courante (travail, école…), l’exaspération fait son chemin, faisant peser une pression de plus en plus lourde sur les épaules des responsables. Danger ou pas danger, ça n’est pas écrit sur la neige, les autorités doivent faire des choix, raisonnés et raisonnables. Mais comment imaginer qu’une avalanche retardataire pourra éventuellement balayer une route réouverte après plusieurs heures de calme… apparent ? “Limité” est également un adjectif vague, qui ne fournit pas intuitivement le niveau du danger.


Autre malaise vis à vis de l’échelle : le croisement, la superposition, et peut-être la confusion chez le profane, des dangers naturels et des dangers provoqués.


Le risque 4 “Fort” correspond à un fort risque naturel, spontané, mais aussi, de temps à autre, à un risque “Très fort”, “provoquable” (après des chutes de neige, pas forcément abondantes, mais plus encore quand elles le sont, accompagnées de vent, donc d’une multiplication de ces satanées “plaques à vent” vénéneuses). On peut même convenir qu’il est le plus fort de tous pour la pratique du ski, dans la mesure où par risque 5 “Très fort”, il fait tellement mauvais en montagne sportive… que personne ne s’y aventure. Or, ce risque 4 est un peu noyé dans la masse, minoré par son relatif retrait, alors qu’il devrait être tout en haut pour le skieur, de piste ou de randonnée.


Croquis D. Schueller


Alors comment éclaircir la situation ? Revoir l’échelle, ses spécifications ?


Ce ne serait pas inutile sans doute après plus de 20 ans sans modifications et après autant d’années de retour d’expérience. Il est impossible qu’elle soit parfaite du 1er coup. Sans prétention, je proposerais la mise à jour suivante, sans vraiment toucher au contenu des précisions relatives à la nature et à la localisation du danger, ni surtout des précautions à prendre :


Risques chiffrés                       Degré de risque qualitatif

1                                                  Faible

2                                                  Modéré

3                                                  Assez Fort

4                                                  Fort - Très Grand danger pour la pratique du “hors piste”

5                                                  Très fort

6                                                  Exceptionnel


En réalité, toute évolution de l’échelle demanderait inévitablement des mois de concertation entre pays concernés, puisque aucun n’a contractuellement le droit de faire cavalier seul. Alors, comme pour tant de règlements, il est évident que tout dépend de la façon dont on les applique, qu’il suffirait simplement que les experts en charge des bulletins pilotent correctement les médias pour que passent les bons messages. Pour que les présentateurs ne se contentent pas, comme en ce moment, d’un laconique et bien vague “risque fort d’avalanches sur les Alpes”, qui n’est pas sans rappeler ces fameux panneaux “verglas” sur les routes de juillet. Une initiative très facile à prendre pour un résultat immédiat et à coup sûr efficace. Effectivement, des progrès substantiels, faciles à atteindre, sont souhaitables pour notamment bien cibler les usagers les plus concernés selon les circonstances. Insister notamment sur le “risque 4” quand il recouvre un danger mortel pour la pratique du hors piste. Préciser aussi pour la multitude des profanes, à juste titre inquiets, la localisation des dangers, pour ne pas affoler inutilement les touristes, leurs parents, leurs amis… : même un risque “Fort” signifie assez rarement, et c’est tant mieux, des menaces pour les routes ou les habitations. Pourtant à la TV ces considérations sont trop souvent négligées. Un aggiornamento passerait donc d’abord, essentiellement, et tout bêtement, par un recyclage des présentateurs, par l’invention de courtes formules et pictogrammes explicites, faciles à comprendre et mémoriser par tous, par leur usage pertinent et répété (convention à passer entre les médias et Météo-France pour un strict respect de la formulation). Aux skieurs hors pistes de consulter les bulletins quotidiens disponibles pour chaque massif sur le site de Météo-France (http://www.meteofrance.fr/meteo.fr), pour s’imprégner du contexte météo et nivologique, pour examiner plus à fond les définitions et recommandations de l’échelle, pour affiner leurs choix en fonction de leur niveau technique, de leur expérience, pour faire la part du raisonnable et du déraisonnable, pour savoir repousser les projets à des jours plus sûrs, même si  poudreuse et ciel bleu déploient toute leur séduction.

Echelle européenne de risque d'avalanche

à l'intention du public pratiquant la montagne hors des pistes balisées et ouvertes

INDICE DU RISQUE

STABILITE DU MANTEAU NEIGEUX

PROBABILITE DE DECLENCHEMENT

1 - FAIBLE


Le manteau neigeux est bien stabilisé dans la plupart des pentes.



Les déclenchements d'avalanches ne sont en général possibles que par forte surcharge3 sur de très rares pentes raides1. Seules des coulées ou petites avalanches peuvent se produire spontanément.


2 - LIMITÉ


Dans quelques pentes2 suffisamment raides, le manteau neigeux n'est que modérément stabilisé.

Ailleurs, il est bien stabilisé.



Déclenchements d'avalanches possibles surtout par fortesurcharge3 et dans quelques pentes généralement décrites dans le bulletin.

Des départs spontanés d'avalanches de grande ampleur ne sont pas à attendre.


3 -MARQUÉ


Dans de nombreuses pentes2 suffisamment raides, le manteau  neigeux n'est que modérément à faiblement stabilisé



Déclenchements d'avalanches possibles parfois même par faible surcharge3 et dans de nombreuses pentes, surtout celles généralement décrites dans le bulletin. Dans certaines situations, quelques départs spontanés d'avalanches de taille moyenne, et parfois assez grosse, sont possibles.


4 - FORT


Le manteau neigeux est faiblement stabilisé dans la plupart des pentes2 suffisamment raides.



Déclenchements d'avalanches probables même par faible surcharge3 dans de nombreuses pentes suffisamment raides. Dans certaines situations, de nombreux départs spontanés d`avalanches de taille moyenne, et parfois grosse, sont à attendre.


5 -TRÈS FORT


L'instabilité du manteau neigeuxest généralisée.




De nombreuses et grosses avalanches se produisant spontanément sont à attendre y compris en terrain peu raide.


(1) Pentes particulièrement propices aux avalanches en raison de leur déclivité, de la configuration du terrain, de la proximité des crêtes...

(2) Les caractéristiques de ces pentes sont généralement précisées dans le bulletin: altitude, exposition, topographie...

(3) Surcharge indicative : forte (par exemple skieurs groupés) ou faible (par exemple skieur isolé, piéton).


Le terme déclenchement concerne les avalanches provoquées par surcharge, notamment par le(s) skieur(s).

Le terme départ spontané concerne les avalanches qui se produisent sans action extérieure.

© 1997 Météo-France


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  • * SLF : Institut Fédéral Suisse pour l’Etude de la Neige et des Avalanches au Weissfluhjoch à Davos avait, j’imagine, fait la trace en la matière depuis 1931, pionnier et leader incontesté de la nivologie durant de longues années. (http://www.slf.ch/index_FR)

  • ** ANENA : Association Nationale pour l’Etude de la Neige et des Avalanches (http://www.anena.org/)



14 février 2016
33) Les "Points hauts"


 

Extrait d’un document Infoclimat (infoclimat.fr)

Le démantèlement du poste du Ventoux datait de juillet 1968. Je suppose qu'il avait été retenu jusqu'à cette date pour servir au moment des JO d'hiver de Grenoble, en 1968 justement. A l’époque, je faisais d'ailleurs partie, à Lyon-Bron, de la base arrière qui alimentait en prévisions et documents (transmis par fac-similé) l'antenne spécifique de Grenoble au Village Olympique.



Quand j'ai pris mes fonctions de "prévisionniste montagne", à Chamonix, le 1er juillet 1969, il m’a fallu faire flèche de tout bois. Par télétype je recevais les SYNOPs et METARs de France et des pays voisins. J'ai beaucoup utilisé les données d'altitude du Mont-Aigoual, du Puy-de-Dôme et du Pic-du-Midi-de-Bigorre, du Feldberg (Forêt Noire - 1 486 m), de la Zugspitze (Bavière - 2 960 m), et, pour l'Italie, de Pian Rosa (3 480 m), Turin/Superga (670 m)... , et bien sûr toutes celles de Suisse (des champions, déjà, toujours !...). Je pouvais ainsi suivre, au moins toutes les 3h, l'évolution du temps, du vent, de la température, de l'humidité, donc le mouvement des masses d'air. J'ai forcément regretté la disparition de la station du Ventoux, site éminemment stratégique. (Ci-contre, un extrait de la carte des indicatifs des stations que j’utilisais au début de l’Antenne spécialisée montagne de Chamonix)

Plus tard, j'ai réagi aux abandons du Puy-de-Dôme, du Pic-du-Midi, d'autant plus regrettables, et incompréhensibles à mes yeux, que, dans chacun de ces endroits, restaient des techniciens d'autres organismes, qui auraient très bien pu assurer le maintien d'une observation sommaire, puis, un peu plus tard, la maintenance de stations automatiques (la Suisse a déployé son réseau à partir de 1980). Seul fut préservé du naufrage le poste du Mont-Aigoual, grâce à la clairvoyance et à l'opiniâtreté de son chef, Jean Boulet. Je ne pense pas que la Météorologie eut été ruinée par l’installation de  3 stations automatiques dans ce que l’on appelait « les points hauts ». Il manquait à l'évidence une vraie motivation, une vraie compréhension des besoins en données météo des populations et de l'économie montagnardes, de l'utilité de bien appréhender le climat d'altitude. Si ce point de vue est futile, pourquoi alors les autres pays alpins ont-ils appliqué depuis toujours la stratégie d’exploiter au mieux les belvédères à leur disposition ? La suppression par Météo-France, ces dernières années, du radiosondage de Lyon/Satolas participe de cette incompréhension de l’utilité de références solides, in situ, utiles à tant d’activités créatrices de richesse, de plaisirs, souvent très exposées (sécurité, tourisme, sports, infrastructures, agriculture...). Ces économies en sont-elles vraiment ???...

 

Cette opinion je l'ai exprimée et défendue souvent, quand j'étais en activité, et encore après... Je suis heureux que des bénévoles aient su mobiliser des moyens et des concours pour réhabiliter enfin l'Observation au Ventoux. Ne pas exploiter ce sommet "mythique", tellement bien placé, alors qu'on sait l'importance capitale des conditions météo spécifiques de ce secteur (notamment les fameux "épisodes cévenols" - catastrophe de Vaison-la-Romaine, le 22 septembre 1992 : 37 morts !) représentait une vraie négligence. Infoclimat, qui possède certainement le réseau associatif de stations de mesure le plus riche, se comporte en véritable service public, à la fois passionné, en mouvement continu, tout en restant très exigeante pour le matériel comme pour le respect des standards d’environnement (“normes de dégagement”).

 

Le 7 février, c'est une station automatique de l’association ROMMA (romma.fr) qui détecte une rafale record à la-Croix de-Chamrousse (2 250 m) : 161 km/h !... Météo-France possède aussi une station à la Croix. J’en ai moi-même fait installer à Chamrousse-le Recoin (vers 1 700 m), il y a plus de 15 ans (j'ignore ce qu'elle est devenue. Une station automatique fut montée au sommet de l’Aiguille-du-Midi (3 842 m), à Chamonix, dans les années 90. Bien sûr, elle a dû affronter des conditions extrêmes (vents intenses, givrage, foudre…), et a connu des pannes bien normales durant les premières années. Fonctionne-t-elle toujours ?... Depuis le Jungfraujoch (3 580 m), Météo Suisse parvient depuis longtemps à transmettre des mesures très régulièrement. Par ailleurs, elle met à disposition gratuite beaucoup de stations automatiques installées au-dessus de 2 000 m ; j’imagine qu’elles sont exposées à des rigueurs qui valent celles de l’Aiguille-du-Midi… (illustration : la Croix-de-Chamrousse, belvédère stratégique pour plusieurs services - photo du Dauphiné Libéré).




Le Dauphiné Libéré a publié l’information de ROMMA sur la rafale de Chamrousse. Quand j’étais en activité, je faisais en sorte de ne rater aucune occasion de porter à la connaissance du public, via les médias, les records, les bilans cycliques (mensuels, saisonniers, annuels), bref tout ce qui pouvait répondre à sa curiosité. Je salue les remarquables mérites des bénévoles passionnés de ROMMA, qui réalisent un excellent travail (création en continu d’un très beau réseau de stations automatiques, en s’appuyant sur des particuliers, en obtenant le concours de collectivités, en montant des partenariats avec d’autres réseaux, puis remarquable mise en forme des résultats instantanés et des bilans climatiques), par contre je trouve bien discret le service public…

 

Je souhaite vivement que l'Open Data, qui a libéré - enfin ! -, ces derniers mois, les modèles de prévision numérique français (AROME et APEGE,) continuera à faire exploser ce système  absurde de rétention d’informations de dispositifs financés par le contribuable. Météo-France ne permet l’accès à ses stations automatiques qu’en payant. J’imagine qu’il n’y a pas foule pour les consulter ; elles seraient de toute évidence plus utiles, donc “rentables”, si elles étaient facilement accessibles en ligne et… gratuitement.


21 novembre 2016
34) Les débuts de la météo à Chamonix; première mondiale (Diaporama).


 
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